La loi, rien que la loi, et l’éducation, toujours l’éducation

HP

On en avait un peu pris l’habitude à propos d’Internet et du numérique… Les gouvernants précédents avaient accumulé bourdes, analyses décalées, réactions irraisonnées. Il est vrai que certains personnages médiatiques, journalistes, acteurs, philosophes, avaient déjà montré l’exemple en faisant assaut de sorties même pas rigolotes mais surtout très négatives à propos d’Internet — voir ce magnifique florilège. Grosso modo, leurs propos étaient la manifestation d’un néo-obscurantisme abâtardi d’à-propos politique, d’ignorance ou de peur panique. J’avais eu l’occasion d’évoquer tout ça dans ce billet.

On pouvait attendre que les membres de ce gouvernement soient un peu plus avertis de la chose, l’âge moindre et l’expérience supposément plus grande aidant mais… Ce doit être l’hiver et son gris un peu déprimant qui rend cette période particulièrement propice aux déclarations… comment dire ?… étranges de certains membres de ce gouvernement pour ce qui concerne Internet et ses usages.

À propos des « hashtags » haineux et peut-être racistes sur Twitter, on avait pu lire, je vous le rappelle, cette déclaration de Najat Vallaud-Belkacem — voir cet article — dans laquelle elle exhortait Twitter à « prévenir la commission de tels délits » et à « agir pour supprimer les tweets manifestement illicites et, à tout le moins, en rendre l’accès impossible ». Sic.

Peu après, c’est Fleur Pellerin qui fait savoir qu’il s’agissait en fait « de négocier avec Twitter le fait de pouvoir retirer les contenus, les hashtags” qui sont litigieux et également d’obtenir de leur part qu’ils donnent l’identité des personnes qui, de manière répétitive, font des posts de cette nature » et, par ailleurs « de définir avec eux, le degré d’inacceptabilité de ces posts ». Sic encore.

Hier, à nouveau, Najet Vallaud-Belkacem revient sur cette affaire en demandant à ce que les propos sexistes soient bannis — entendez « supprimés » — de Twitter.

Pire ! ce matin-même, dans cet article, censé faire le point sur la politique gouvernementale en matière de cybercriminalité — j’avais bêtement imaginé que les ministres évoquaient là le terrorisme ou le grand banditisme par exemple —, Manuel Valls et Fleur Pellerin ont évoqué la manière de renforcer la lutte contre les messages haineux sur Internet : « Il ne suffit pas de bloquer les contenus illicites, il faut aussi sanctionner leurs auteurs ». Sic toujours.

Bon. Soupir.

Je ne suis pas juriste et ne possède du droit que quelques connaissances fragmentaires et bien incomplètes. En revanche, je suis un citoyen très attaché à mes droits, en particulier ceux qui concernent ma liberté d’opinion et d’expression. Je sais, en particulier, quelle est sa valeur éducative. Je sais quelles sont, dans notre pays, parce que le législateur en a décidé ainsi et ce n’est pas mon propos d’y revenir, les limites à cette liberté.

Je sais par exemple que le sexisme ou les propos sexistes ne constituent pas un délit. Le droit français ne connaît et réprime que les faits de discrimination à raison du sexe, ce qui n’a pas grand chose à voir.

Je sais aussi qu’un fournisseur de services, d’accès, un opérateur, un hébergeur Internet ne sont pas tenus de fournir, comme ça, parce qu’on leur demande gentiment, les extraits des journaux qui permettraient d’obtenir l’identité des personnes supposées avoir commis un délit.

Je sais encore que personne, pas même un ministre, n’est fondé à charger le même fournisseur de services de pouvoirs de police ou de justice en lui demandant, sur son territoire, de supprimer des articles, de bloquer et censurer des contenus, de supprimer des mots-clés supposés litigieux, de définir le « degré d’inacceptabilité » des « posts », comme le rappelle fort justement Benjamin Bayart sur son blog. Seule une décision de justice peut éventuellement contraindre le fournisseur en question, et encore pas sur tous les points évoqués ci-dessus.

Je sais qu’un citoyen est censé attendre de ses élus qu’ils défendent et promeuvent Internetau lieu de systématiquement le stigmatiser et le rendre responsable de tous les maux de la société, Internet que Paul Da Silva appelle « un des vecteurs principaux de l’économie en cette période de crise, un des seuls moyens d’expression qui donne à tout un chacun la même chance face à l’autre de faire valoir ses idées, un outil de découverte et d’enrichissement culturel personnel et sociétal majeur ».

Je sais par ailleurs qu’un citoyen est censé attendre de son gouvernement, avant toute autre chose, qu’il soit le défenseur résolu du droit, en toutes circonstances, de ses droits fondamentaux d’abord. en les défendant jusqu’à porter plainte pour ces fameux tweets haineux ou racistes qui sont supposés transgresser la loi, d’une part, en se gardant, d’autre part, de toute velléité suicidaire de censure, de filtrage ou de surveillance.

Je sais enfin que le même citoyen n’attend pas de ces ministres une politique à courte vue mais qu’ils fondent leur engagement dans la durée sur les valeurs de l’éducation seules à même d’éviter que des imbéciles soient capables un jour d’écrire des tweets haineux, racistes ou, tout simplement, sexistes.

Mais ça, ça demande un effort.

[Mise à jour du 17 janvier : pour corroborer la conclusion ci-dessus qui tombe à pic comme le dit Luc Bentz dans ce billet, il faut s’imprégner du sel de cet autre article du Monde qui tombe à pic itou et qui nous raconte les mésaventures de l’animateur de communauté en ligne qui signe @prefetmoselle et qui ne manque pas d’humour et de calme en répondant à ce genre de tweet qui lui est adressé pour fermer les classes, compte tenu de la météo :

Moselle

Quand je vous disais que la seule solution, c’était l’éducation. Avec là, de manière plus immédiate et impulsive, un bon coup de pied au cul, peut-être… Pardon !]

Michel Guillou @michelguillou

image

Crédit photo : Cilou101 via photopin cc

[cite]

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