À plusieurs reprises, ces derniers jours, sur Educavox et dans le Ludomag, la nouvelle directrice de la DNE, direction du numérique pour l’éducation, Catherine Becchetti-Bizot, dont j’ai déjà eu ici-même l’occasion de dire toute l’estime en laquelle je la tenais (1), a eu l’occasion de détailler et d’expliciter les axes de la stratégie du ministère « pour faire entrer l’école dans l’ère du numérique ».
Je reviendrai sans doute sur les points qu’elle a évoqués qui méritent, pour nombre d’entre eux, qu’on s’y attarde. Pour la première fois, je l’ai entendue dire, par exemple, que, sans doute, on avait dans l’école une vision trop utilitaire et instrumentalisée du numérique. Si vous me lisez, vous savez que j’applaudis des deux mains.
En revanche, elle a répété vouloir continuer dans ce qui constitue l’épine dorsale de la stratégie du ministère en matière de numérique — hier encore, il s’agissait des Tice —, soit le repérage, la valorisation et la promotion des « usages », des bonnes pratiques, afin que ces dernières essaiment…
Cette stratégie a montré, depuis dix ans au bas mot, sa complète inefficacité
Depuis toutes ces années, des cohortes d’animateurs, de professeurs, dans les missions académiques, dans les centres départementaux ou régionaux du réseau CNDP, appelé maintenant Canopé, dans les observatoires ou agences des « usages », ont dépensé une énergie folle et passé un temps considérable à ce repérage absurde et improductif. Ce dernier s’accompagne parfois de considérations statistiques ou cartographiques strictement quantitatives tout aussi absurdes. Quant aux aspects qualitatifs de ce repérage, il convient pour les évoquer enfin, de se heurter de plein fouet à un certain nombre de freins. Le principal d’entre eux est que de passer de l’état « repéré » à l’état « valorisé » demande un certain nombre de validations institutionnelles a priori, difficiles à obtenir d’un encadrement pédagogique généralement circonspect et toujours sourcilleux de ses prérogatives.
Bien souvent, par ailleurs, ces expérimentations ou ces bonnes pratiques repérées s’embarrassent d’un travail de recherche universitaire qui rend ses conclusions de très longs mois — il faut parfois plus d’une année entière — après qu’il a commencé à être mis en œuvre. C’est à dire toujours trop tard. Le questionnement de ce dernier est aussi généralement erroné, comme je l’ai montré dans un billet récent (2). En effet, la plupart des recherches se contentent de savoir « si c’est mieux » avec le numérique, ce dont l’école devrait se fiche, alors qu’il s’agirait, éventuellement et plutôt, de s’interroger sur ce qu’il change vraiment dans les pratiques de classe.
Enfin, il est nécessaire de prendre conscience que la bonne pratique d’aujourd’hui, à supposer qu’il y ait une « bonne » pratique, n’est sans doute pas celle de demain, au rythme où évoluent les technologies, dans un domaine où l’innovation est à la fois la constante et le moteur du changement.
Il est donc nécessaire de changer de stratégie
En effet, valoriser, promouvoir les bonnes pratiques professionnelles et attendre un hypothétique essaimage semblent bien inadéquats aux besoins.
Comment imaginer faire progresser les bonnes pratiques de classe avec le numérique quand présenter une séquence pédagogique de ce type lors d’une inspection, c’est encore prendre des risques ? Qu’on ne me dise pas que c’est faux, j’en ai des exemples tous les jours encore…
Comment imaginer faire progresser le numérique éducatif quand le chantier prioritaire et indispensable des programmes et du socle avance si lentement ? Que va-t-il advenir de ce dernier après les premières versions vides de culture numérique et de repères compréhensibles à ce sujet ? Que va nous apporter à ce sujet la consultation des personnels en cours quand on sait que moins d’un professeur sur deux est convaincu par le numérique (3) ?
Expérimenter, observer, repérer, évaluer, valoriser, promouvoir, espérer l’essaimage ne sont trop souvent que des bonnes occasions pour procrastiner et remettre à plus tard les décisions indispensables et qu’il faut prendre pourtant sans tarder, en liaison avec les collectivités locales, sur les infrastructures (architecture, connectivité, équipement, ressources), sur la formation et l’accompagnement des personnels, à commencer par la formation initiale et celle des cadres, catastrophiques l’une comme l’autre, sur les programmes et les compétences attendues…
Je répète qu’il est bien sûr nécessaire d’évaluer, comme il est nécessaire aussi, ne serait-ce que pour satisfaire leur ego, de promouvoir les initiatives de ceux qui innovent vraiment. Mais, à trop s’attarder à cela, on perpétue sine die cette période des pionniers qui fait l’admiration des médias et de la communication politique et on n’avance guère. Par ailleurs, évaluer doit maintenant pouvoir se faire en marchant, sans pause d’aucune sorte, et valoriser doit se faire avec de vraies promotions ou des espèces sonnantes et trébuchantes, n’en déplaise à certaines forces conservatrices, plutôt qu’avec des discours institutionnels convenus.
Ce n’est qu’ainsi qu’on fera vraiment avancer le numérique, sans attendre un vain et improbable essaimage.
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : Danny Perez Photography via photopin cc
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Je partage en tous points votre analyse! Il est grand temps pour les acteurs du secteur d’agir en conséquence