Profs débutants : 10 bonnes raisons d’échapper au numérique

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Chers jeunes collègues, vous débutez, prenez vos premières classes, devez affronter vos premiers défis… C’est compliqué et difficile, vos collègues vous sollicitent sans cesse, qui pour préparer un voyage, qui pour organiser un contrôle commun — quelle drôle d’idée ! —, qui pour mettre en place les TPE, l’accompagnement personnalisé, que sais-je encore !… De leur côté, les élèves, qui ne sont pas trop autonomes, font constamment appel à vous, ne vous laissent aucun répit, vous harcèlent même…

Il vous faut faire des impasses, des choix draconiens, faute de quoi vous y laisserez votre santé ! À rentrée difficile, il faut de bonnes résolutions, définitives si possible pour ne plus avoir à y revenir.

Un conseil, laissez tomber les Tice, le numérique, l’ENT, tout ça ! Vous trouverez ci-dessous 10 bonnes raisons de faire ce choix que vous ne regretterez pas, si jamais on vous posait des questions à ce sujet ! Faites-moi confiance !

Première bonne raison : vous n’avez pas été formé

C’est d’autant plus une bonne raison que c’est vrai. On vous a bien montré, à l’IUFM, deux ou trois trucs, avec les tableaux numériques ou les vidéo-projecteurs mais ce fut très rapide, entre deux cours, et personne n’a jamais pris le temps de vous les mettre en main.

Oh ! il y avait bien le C2i mais, outre que ce certificat est déconnecté des pratiques d’enseignement, on vous a bien expliqué que c’était une rigolade dont vous seriez dispensé, compte tenu de votre discipline…

Donc pas de formation, pas d’action !

Deuxième bonne raison : personne ne vérifiera vos compétences dans ce domaine

Bon, d’accord, c’est tout de même un peu risqué… malgré tout, votre tuteur, votre chef d’établissement ou vos inspecteurs ont, de manière générale, une culture numérique bien faible et il y a les plus grandes chances qu’ils ne vous demandent rien, ne serait-ce que parce qu’ils vont supposer que vous êtes plus compétent qu’eux à ce sujet. Non, ils préfèrent généralement s’attarder sur votre autorité, votre ponctualité ou votre progression…

S’ils s’inquiètent de vos choix dans ce domaine, vous pourrez toujours dire que le matériel ne marchait pas ! Ils n’iront pas vérifier…

Troisième bonne raison : vous n’avez, justement, pas de matériel, ni de ressources.

Ou le matériel est en panne, comme d’habitude. C’est vrai que l’agent de service spécialisé est débordé et ne remplacera ce fusible défectueux que quand il aura le temps…

La collectivité territoriale n’a pas non plus pris conscience de l’importance de ces équipements et de ces ressources pédagogiques et ne vous a pas fourni les tablettes numériques dont vous vouliez justement faire usage. C’est ballot !

Ce n’est pas très compliqué : pas de matériel, pas de ressources didactisées et validées, pas d’enseignement avec le numérique !

Quatrième bonne raison : il n’y a pas d’Internet ! 

Bon, d’accord, c’est parce que le câble, là, derrière, est débranché mais vous n’allez pas faire le travail de cet agent, largement payé pour le faire !

Et puis, vous le savez bien, il y a toujours le risque, en utilisant Internet, de tomber sur un site un peu glauque, avec des filles nues, voire pire !, ce qui met votre séance par terre. Non, décidément, c’est trop risqué !

Au diable, Internet !

Cinquième bonne raison : l’ENT, c’est source de problèmes !

Plutôt que de mettre en ligne, dans le cahier de textes partagé avec la classe, le contenu des séances en classe et les consignes pour les devoirs à la maison, il est bien préférable que les élèves notent tout ça sur leur cahier à spirales. C’est toujours autant de temps et d’énergie de gagnés !

Allez savoir, il s’en trouverait bien un ou deux à vous poser des questions à ce sujet, via la messagerie ad hoc, le soir… Il y aurait peut-être aussi des questions des parents… De quoi se mêlent-ils ? Et il faudrait leur répondre ? Soyons sérieux…

Sixième bonne raison : travailler avec le numérique, c’est mettre à mal l’organisation de la classe

Travailler avec les élèves sur leurs compétences d’apprendre à apprendre, c’est déstructurer le groupe classe, puisqu’il faudra peut-être sortir de ses murs, organiser des groupes de travail, le mode de fonctionnement dans chacun d’eux, et, pire !, concevoir des modes de restitution et d’évaluation collectives !

Collectives ! Dans ce chaos, quand prend-on le temps des évaluations sommatives individuelles ?

Septième bonne raison : le numérique, ce n’est pas bon pour la santé

Il y a tout de même de bonnes raisons, faisons-leur confiance, pour que nos vaillants sénateurs aient introduit l’interdiction, dans le code de l’éducation, de l’usage des téléphones portables dans l’enceinte des écoles et des collèges ! Et puis, au lycée, ce sont les règlements intérieurs qui s’y opposent… Ce n’est tout de même pas pour rien !

Il faut être très vigilant sur ces affaires de santé publique, on ne sait jamais trop où on va ! Avec toutes ces ondes et ces câbles qui parcourent l’espace pédagogique…

Il faut appliquer le principe de précaution.

Huitième bonne raison : vous venez d’écouter Alain Finkielkraut sur France-Culture

Et ce dernier vient de vous expliquer, à force d’arguments bien sentis et de haute volée, que le numérique, c’était un symptôme du déclin de l’Occident, que les institutions, la famille, la Nation, la société, la morale, l’école de la République allaient y laisser des plumes, qu’il convenait en classe de faire respecter le maître et le silence qui sied aux apprentissages et de réhabiliter la transmission et l’instruction publique, qui sont le fondement même de l’enseignement.

Et vous avez beaucoup de respect et d’admiration pour ce grand philosophe, en prise avec son temps et la modernité.

Donc non.

Neuvième bonne raison : c’est la posture du maître qui est mise à mal avec le numérique

Vous avez parfaitement compris que fournir des terminaux numériques aux élèves conduisait inéluctablement à la contestation de votre enseignement. Vous avez compris ce qu’ils font de ça : ils lisent, ils cherchent, ils recoupent les informations, ils critiquent votre message magistral, ils contestent donc votre autorité et vous font descendre de votre estrade…

C’est extrêmement déstabilisant. C’est bien la peine d’avoir fait tant d’années d’études pour en arriver là !

De toutes façons, vous avez affiché en classe le règlement qui interdit l’usage des téléphones et autres ordiphones et avez rappelé des consignes très fermes à ce sujet. Il n’y a donc aucun risque, les élèves les garderont soigneusement éteints au fond de leur sac, soyez-en certain !

Dixième bonne raison : vous n’avez pas envie, c’est votre liberté pédagogique, vous faites ce que vous voulez.

Et puis c’est tout !

Ne me remerciez pas.

[Mise à jour du 27 janvier 2016. On m’indique sur Twitter une onzième raison qui fleure bon le vécu : vous n’êtes pas là pour faire le clown, avec des machins à la mode]

Michel Guillou @michelguillou

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Crédit photo : basegreen via photopin cc

[cite]

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Un commentaire pour “Profs débutants : 10 bonnes raisons d’échapper au numérique
  1. Voltaire dit :

    Triste constat que le votre, l’ironie vous sied mal, mais peut-être préférez-vous que notre société fabrique en masse ce crétin digital que vous fantasmez ?

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