Ludovic a dix ans. Ludovic est en CM2 et aime jouer avec ses camarades et fabriquer avec eux des photos ou de courtes vidéos. Quand elles sont drôles et bien ficelées, il les publie sur YouTube.
Allez, je vous raconte toute l’histoire, car tout n’est pas si simple. En ce mercredi après-midi de mars, Ludovic s’est amusé au-delà du raisonnable. La vidéo qu’ils ont produite avec ses amis est beaucoup moins drôle. Beaucoup moins. Ludovic s’est laissé aller à injurier copieusement quelques camarades absents et des adultes de l’école, dont sa maîtresse. Ce n’était pas drôle du tout. Et ce qui devait arriver arriva. Ce qui devait être réservé au seul visionnage privé s’est retrouvé publié illico sur la chaîne Youtube de Ludovic. Ce dernier ne sait plus si c’est lui ou un de ses camarades qui a cliqué sur [Envoyer]. Trop tard, la vidéo a été vue par les camarades de Ludovic puis par leurs parents qui se sont empressés d’alerter la maîtresse de Ludovic et la directrice de l’école, laquelle a prévenu sa hiérarchie.
Ludovic s’est aperçu de son erreur et des dégâts commis. Il a alors publié sans trop réfléchir une autre vidéo dans laquelle il explique qu’il s’agit d’une mauvaise blague et présente ses excuses. Trop tard encore. Tout s’emballe. Tout le monde est maintenant au courant, surtout ceux qui n’ont rien vu. Les parents de Ludovic sont convoqués sans tarder dans le bureau de la directrice, en présence de la maîtresse.
La décision est prise et communiquée aux parents : l’inspectrice de circonscription a exclu Ludovic de son école. C’est comme ça. Il sera accueilli dans une école voisine.
Les parents de Ludovic sont interloqués. Aucune explication n’est donnée. Aucun recours ne semble alors possible. Les autres parents sont sollicités par la directrice de l’école pour appuyer la décision de l’institution. On pétitionne, on s’enflamme, on manipule. De leur côté, les parents de Ludovic veulent agir, faire appel, obtenir un rendez-vous, alerter le maire et les associations de parents, interpeller le rectorat. Rien n’y fait. La lettre qu’ils écrivent aux autres parents pour leur dire ce qu’ils ressentent n’est pas distribuée :
« Nous ne voulons exprimer par ce courrier qu’un sentiment d’incompréhension, de mécontentement et sans doute d’injustice… »
La vidéo de Ludovic est vite retirée, bien sûr.
Une procédure d’exclusion irrégulière donc un fiasco éducatif
En matière disciplinaire, c’est la circulaire n° 91-124 du 6 juin 1991 qu’il faut consulter et qui fait référence. Son chapitre 3 dit « Vie scolaire » précise, à propos des cas graves — s’agit-il d’un cas grave ? :
« Dans le cas de difficultés particulièrement graves affectant le comportement de l’élève dans son milieu scolaire, sa situation doit être soumise à l’examen de l’équipe éducative, prévue à l’article 21 du décret n° 90-788 du 6 septembre 1990.
Le médecin chargé du contrôle médical scolaire et/ou un membre du réseau d’aides spécialisées devront obligatoirement participer à cette réunion.
S’il apparaît, après une période probatoire d’un mois, qu’aucune amélioration n’a pu être apportée au comportement de l’enfant, une décision de changement d’école pourra être prise par l’inspecteur de l’Éducation nationale, sur proposition du directeur et après avis du conseil d’école. La famille doit être consultée sur le choix de la nouvelle école. Elle peut faire appel de la décision de transfert devant l’inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’Education nationale. »
Dans le cas qui nous occupe, l’équipe éducative n’a pas été réunie ni consultée pour avis, le médecin scolaire non plus, il n’y a pas eu de période probatoire définie et le conseil d’école n’a pas été réuni. La famille n’a pas été consultée en amont de la décision d’exclusion non plus qu’elle a été consultée sur le choix de la nouvelle école. Enfin, les parents n’ont jamais été informés des voies d’appel prévues par les dispositions ci-dessus. Pire ! on leur a fait savoir qu’ils n’y avait pas de recours !
Bref un magnifique et scandaleux déni de justice. La première fois de sa vie que Ludovic doit subir une sanction disciplinaire à l’école, celle-ci s’avère inique, radicale, autoritaire, sans sursis et sans appel. Tous les textes dont cette fiche sur Eduscol, qui accompagnent la vie scolaire et sont disponibles pour aider les chefs d’établissement à prendre les bonnes décisions, rappellent un certain nombre de principes :
- des mesures de responsabilisation dont « La portée symbolique et éducative de la démarche doit primer sur le souci de la réparation matérielle du dommage causé aux biens ou du préjudice causé à un autre élève » ;
- le contradictoire dont l’objectif est « …d’écouter, de permettre à l’élève d’exprimer son point de vue. Il convient également de lui expliquer sa faute et la sanction qu’il encourt. » ;
- l’individualisation et la proportionnalité de la sanction qui précise notamment que « La graduation des punitions et des sanctions permet à l’élève de bien prendre conscience de la gravité de ses actes par rapport à une échelle de valeurs. ».
En l’occurrence, aucun de ces principes fondamentaux du droit n’a été respecté. Comment douter du caractère outrancier et disproportionné de la sanction qui frappe un élève de 10 ans ne posant pas par ailleurs de problèmes de vie scolaire ?
Des compétences non travaillées donc un échec pédagogique
Là encore, les textes disent clairement quelles compétences doivent avoir été acquises par les élèves à leur sortie du premier degré. En CM2, on travaille les 7 compétences du socle commun dont celle, relative à « La maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication » où « Chaque élève apprend à faire un usage responsable » de ces technologies. Il est précisé que le Brevet informatique et Internet dit B2i confirme la maîtrise de ces techniques, même si, je l’ai déjà dit, les compétences attendues n’ont pas grand chose de technique.
Je souhaite mettre en exergue ce qui correspond plus précisément au cas de Ludovic :
« Il respecte les autres dans le cadre de la communication électronique et de la publication en ligne (propos injurieux, diffamatoires, atteinte à la vie privée ou toute autre forme d’atteinte). »
Par ailleurs, la compétence 6 du socle aborde les compétences sociales et civiques : « Il s’agit de maîtriser, comme individu et comme citoyen, les règles élémentaires de la vie en société et de les mettre en œuvre dans le cadre scolaire. L’élève acquiert des repères dans plusieurs domaines : les droits et les devoirs du citoyen, les notions de responsabilité et de liberté et le lien qui existe entre elles. ».
À la connaissance des parents de Ludovic, qui souhaitent eux aussi assumer pleinement leur responsabilité dans cette triste histoire, jamais aucun travail spécifique n’a été mené en classe dans ce domaine pour vérifier les compétences attendues des élèves en fin de premier degré. Ludovic n’a donc jamais appris en classe ce que signifie, concrètement, « publier » et n’a pas acquis les compétences civiques et sociales lui permettant de le faire en toute considération et respect du droit de ses éventuels lecteurs ou spectateurs, enfants ou adultes.
Comme d’habitude — oh ! il y a de notables exceptions… —, l’ensemble du B2i a été validé « à la volée » sans aucun contrôle de qui que ce soit sur la réalité du travail pédagogique mis en œuvre.
Comment alors, en toute logique, faire le reproche à Ludovic de transgresser des règles qu’il n’est pas censé connaître ? Comment lui reprocher de ne pas être capable de tracer les limites entre son intimité et la sphère publique ? Qui lui aurait appris ça ?
Un long cortège de comportements institutionnels irresponsables
L’histoire de Ludovic vient nous rappeler, de manière fort inopportune, que tout cela n’est pas très nouveau.
En 2013, je rappelais (1) qu’on avait perdu 10 ans en matière d’éducation, à propos de l’affaire de trois jeunes lycéennes, elles aussi exclues manu militari, qui se sont fait pincer à insulter, sans la nommer, l’une de leurs professeurs sur Twitter, conséquence d’échanges liés à la rumeur d’un contrôle surprise. Cette affaire venait quelques longues années après l’aventure épique des « Skyblogs », à propos desquels je vous ai raconté l’autre triste histoire de trois jeunes collégiennes valdoisiennes (2), elles aussi exclues sans attendre, coupables en 2005 de commentaires calomnieux à l’encontre d’un de leurs professeurs.
« Et pendant ce temps-là, septembre ne prend toujours pas fin et s’alanguit… » disais-je alors, car les cas de sanctions de ce type sont pléthore.
Najat Vallaud-Belkacem rappelait, tout récemment encore, la nécessité pour les élèves d’une éducation aux médias et à l’information. Cette dernière ne peut en aucun cas se résumer à la seule consultation d’une presse supposée qualifiée (3) et triée sur le volet, mais s’étendre au commentaire critique de l’ensemble des informations, où qu’elle soient, d’où qu’elles viennent, auxquelles les élèves peuvent accéder. De plus, je rappelle, une fois de plus — je préviens, on n’a pas fini de m’entendre sur ce sujet — que publier doit s’inscrire comme une compétence fondamentale de l’école, au même titre que lire, écrire et compter.
À ce sujet, à l’automne dernier, je tentais de répondre à la question suivante : « Apprendre à publier à 10 ans, n’est-ce pas trop tôt ? » (4). La triste histoire de Ludovic nous rappelle que publier est une compétence fondamentale pour exercer une liberté mais que c’est un exercice bougrement difficile. Qui s’apprend. Et qu’apprendre ça à 10 ans, c’est presque trop tard.
[Bien entendu, Ludovic ne s’appelle pas ainsi. Suite à son exclusion, il a changé d’école. Il ne veut pas regarder en arrière et ne pense qu’à sa prochaine rentrée au collège. Où on lui apprendra sans doute à devenir responsable… Qui peut en douter ?]
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : certains droits réservés par Wesley Fryer
- Éducation civique et numérique : 10 ans de perdus ! https://www.culture-numerique.fr/?p=333
- Il y a 20 ans, ils appelaient ça « septembre sans fin »… https://www.culture-numerique.fr/?p=2506
- Éduquer aux médias, certes, mais aux seuls médias validés par l’institution https://www.culture-numerique.fr/?p=4804
- Apprendre à publier à 10 ans, n’est-ce pas trop tôt ? https://www.culture-numerique.fr/?p=4154
[cite]
Je supporte entièrement votre démarche d’insistance, à savoir l’éducation des écoliers à l’usage du numérique. Les enfants rigolent bien, qui ne l’a pas fait et voilà que leur création un peu méchante leur échappe. Pauvre Ludovic dont les jouets peuvent se retourner contre lui et le mordre. Et pourtant, il faut aussi lui apprendre à jouer avec ces jouets fantastiques. Pauvre Ludovic, vivre à une époque où il est à la fois si choyé et en si grand danger.
« au collège (…) on lui apprendra sans doute à devenir responsable… »
Évidemment, au collège tout ira mieux.
D’ailleurs Ludovic aura grandi, et à cause du trajet plus long il aura son portable à lui. Il faut bien rassurer les parents. Un vrai portable, pas comme celui de papy qui ressemble encore à une cabine de téléphone, un vrai qui permet de regarder ses notes sur l’ENT, d’envoyer des mails, des twitts, des photos, prévenir les copains de 6eB du contenu du devoir de math des 6eA, avoir une vie sociale quoi…
Alors au collège on lui expliquera comment l’utiliser intelligemment. On lui expliquera pour pour l’utiliser intelligemment il faut qu’il soit au fond du cartable. Éteint.
Et puis si ce n’est pas au collège, c’est au lycée qu’il apprendra. Peut-être.
Bonsoir.
D’abord, une circulaire ne crée pas de droit, en France ; elle ne saurait donc constituer aucune référence.
Sur le fond, ensuite. Cette histoire n’a rien à voir avec Youtube, le portable ou l’inepte socle dont on détaille ici à l’envie – et ad nauseam – l’architecture ronflanto-technocratique. Ludovic a insulté des gens. Puis, paniqué – il a dix ans -, il a utilisé le même canal pour présenter des excuses. En cela, il se montre particulièrement social, sociable, et éduqué. Quel gosse n’a jamais insulté son instit oralement en cour de récré, sans que quiconque l’entende ?
On veut ici tirer l’incident – lamentable – du côté des réseaux sociaux. Je ne suis pas d’accord. L’incident nous montre un enfant – dix ans ! – qui prend conscience et essaie de réparer. Pour moi, professeur, il est pardonné. Et les adultes qui présentent le verbiage supra pour rejeter la faute sur d’autres sont particulièrement irresponsables et grotesques.
On a autre chose à faire en primaire qu’apprendre à se servir de ces saletés de portables. Et Ludovic a des parents étranges : qui lui ont appris la politesse élémentaire, le sens du bien et du mal – et l’ont équipé, peuchère, de ces engins monstrueux qui transforment notre pays en une armée de lavés du cerveau.
Bien cordialement à tous.
Cet article est tellement confus qu’on ne sait s’il faut ou pas laisser une responsabilité éditoriale envers le monde entier sans accompagnement adulte à un enfant du CM2. Et tant d’autres choses qui semblent venir d’un tel amas d’incompétence et d’ignorance tant du fait numérique que de l’enfance…
Un vrai délire.
On peut espérer que cet épisode aura été formateur pour Ludovic. C’est au moins une consolation….
Il semblerait que oui, me dit-on… :)