Enfin la légitimité pour la direction du numérique éducatif

Catherine Bizot

Au cœur de l’hiver 2009, j’ai pris contact avec Catherine Becchetti-Bizot, inspectrice générale de l’éducation nationale. Je voulais alors l’inviter à participer, aux côtés du recteur Alain Boissinot, de Jean-Marc Merriaux, du sénateur David Assouline et des journalistes Edwy Plenel et Laurent Mauriac, à une table ronde, en point d’orgue du colloque organisé, le 1er avril 2009, dans le cadre d’Intertice. Le thème général de la journée était « Éduquer aux nouveaux médias, ça s’apprend » et la table ronde portait plus précisément sur le sujet suivant : « Enseignants et journalistes, médiateurs incontournables de l’information et de la connaissance ! ».

Un  beau programme assurément — cette question d’une nouvelle médiation à l’heure du numérique et des réseaux sociaux est au cœur des réflexions de la société de la connaissance encore aujourd’hui — et une table ronde splendide dont il ne faut perdre aucune miette et que vous pourrez retrouver sur la plateforme vidéo de l’académie de Versailles.

J’ai eu beaucoup de mal à la convaincre. Elle avait pourtant cosigné, quelques mois auparavant, un remarquable rapport qui faisait l’état des lieux de l’éducation aux médias, en rappelait les enjeux et dessinait quelques perspectives à l’émergence du numérique.

Catherine Becchetti-Bizot hésitait à répondre favorablement à mon invitation. Elle ne voulait pas, me disait-elle, paraître représenter l’institution, ne se sentant pas légitime pour ce faire. J’ai insisté, beaucoup. Je lui ai dit ce que son rapport, tombé malheureusement, comme beaucoup d’autres, dans les grandes oubliettes du ministère, représentait néanmoins pour tous ceux qui, comme moi, travaillaient à réconcilier le numérique et l’éducation aux médias. Je lui ai fait comprendre qu’ il avait une importance considérable, qu’il nous apportait, sur le terrain, dans les rectorats, le soupçon de légitimité dont nous avions tant besoin. Je lui ai dit enfin qu’elle était donc légitime pour nous pour intervenir à ce sujet, même si elle doutait encore de sa légitimité institutionnelle.

Elle a fini par accepter. Et tout le monde s’en réjouit encore.

Se sentait-elle légitime quand le ministre Vincent Peillon lui a demandé de prendre les rênes du chantier qui conduisait à la création de cette nouvelle et indispensable direction du numérique éducatif au ministère ?

Se sentait-elle légitime quand elle prenait place, ces derniers mois, à l’invitation du ministre ou de sa propre initiative, sur des tribunes pourtant très institutionnelles, elles, anxiogènes, fébriles, timides ou, pire !, critiques voire haineuses à l’encontre du numérique et du numérique éducatif en particulier ? Que de courage alors pour prononcer les paroles engagées et résolues qu’elle tenait quand tout autour d’elle, à l’exception peut-être du ministre soi-même et de quelques rares conseillers, se liguait contre ce projet de l’école numérique !

Elle montrait de l’enthousiasme et de la conviction. Autour d’elle, ce n’était que repli sur soi et absence de vision.

Se sentait-elle légitime pour tenir tête aux lobbys économiques, politiques, institutionnels ou associatifs venus faire, depuis des mois, le siège de son bureau ?

Se sent-elle enfin légitime, après tous ces travers, quand elle est nommée, le 23 avril dernier, par Benoît Hamon, à la direction du service sur la mise en place duquel elle travaillait depuis des mois ?

Pour tous ceux qui croient, comme moi, à un numérique humaniste, qui croient à la transversalité des approches, qu’une littératie numérique, médiatique et informationnelle a toute sa place dans les programmes et les modalités d’enseignement, qui pensent que le chantier justement mené à ce sujet par le Conseil supérieur des programmes est fondamental, oui, pour tous ceux-là et pour toutes ces raisons, Catherine Becchetti-Bizot est légitime.

Au-delà des programmes, des examens et de leurs référentiels qu’il faut revoir de fond en comble, de cette compétence 4 du socle à laquelle il convient de donner enfin — que de temps perdu ! — une dominante culturelle et non exclusivement technologique ou utilitaire, au-delà des modalités d’enseignement à éclairer des potentialités offertes par le numérique, c’est bien à l’immense chantier de la formation que Catherine Becchetti-Bizot aura à s’atteler, en renforçant peut-être de manière prioritaire celle des jeunes maîtres et celle des cadres, dont toute la culture numérique est à parfaire et qui manquent cruellement d’une perception des enjeux et de l’engagement nécessaire

Et puis il restera tellement d’autres chantiers : le rôle des collectivités, l’urgence de la connectivité, l’architectures des écoles et établissements, la gestion des flux de ressources, l’animation des communautés, la valorisation des réussites et l’innovation numérique, la mise en cohérence des systèmes d’information de la grande maison, la restauration des libertés fondamentales, dont celles des plus grands des élèves, la modernisation de la réglementation interne des établissements, complètement obsolète…

Enfin, pour tout cela, Catherine Becchetti-Bizot est légitime. Vraiment. Évidemment.

Enfin.

Michel Guillou @michelguillou

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La photographie de Catherine Becchetti-Bizot est issue du site Eduscol.

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Un commentaire pour “Enfin la légitimité pour la direction du numérique éducatif
  1. Jean-Michel Crosnier dit :

    Je suis pleinement d’accord avec vous quant à la dominante culturelle et non exclusivement technique du numérique, qui doit être une tâche essentielle de l’école.
    La compétence 4 du socle commun doit effectivement être modifiée , car les jeunes « digital natives » ne le sont qu’au sens de l’usage et non de la culture. En tant que coordinateur pédagogique pour le B2i, j’ai insisté auprès de mes collègues sur l’importance de la connaissance des droits de même que de leur mise en cause possible, afin que leurs élèves puissent se les approprier.
    J’ai également enseigné jusqu’à peu le C2i à l’université et je me suis battu pour élargir le champ technique à des cours sur l’éthique de l’internet et les enjeux sociétaux de l’accélération technologique que le numérique induit. Or le protocole de certification consiste en un référentiel trop techniciste, alors qu’il est urgent de former autrement que des techniciens sans conscience. Les quelques points que j’ai néanmoins plus développer dans le peu de temps qui m’était imparti m’ont permis de constater que les étudiants étaient très demandeurs de reflexions sur leurs pratiques numériques, et ce, autant dans les UFR de sciences dures que dans ceux de sciences humaines.

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