Les fins d’année sont le moment des bilans, dit-on généralement, le moment des résolutions pour l’année suivante aussi. Suivant mes conseils (1), vous ne vous êtes jamais lancé avec vos élèves dans le numérique, pour toutes les bonnes raisons énumérées dans le billet en référence. Bon, c’est vrai, vous n’êtes plus vraiment débutant dans le métier, public visé par le dit billet, mais vous avez bien compris que vous partagiez, en matière de numérique, les mêmes préoccupations que les collègues qui se lancent.
Vous avez aussi entendu parler de Twitter parce que vous n’êtes pas insensible à ce qui se passe, dans les médias, dans la rue… On en a même parlé l’autre jour en salle des profs et aussi à l’occasion d’une récente réunion pédagogique — c’est un pensum, pensez-vous, ces réunions sans fin où on parle de pédagogie avec les autres et auxquelles on vous contraint d’assister. La documentaliste, qui ne supporte pas qu’on dise qu’elle n’est pas une prof. comme les autres, vous a même recommandé d’y aller faire un tour.
Par dessus tout, vous souhaitez qu’on respecte enfin votre sacro-sainte liberté pédagogique — c’était la dixième et de loin la meilleure des dix raisons qui vous ont fait renoncer à vous servir de tout cet outillage insupportable et graisseux que la collectivité a déposé dans votre classe sans même vous demander votre avis. De toutes façons, ça n’a jamais été déballé.
Pour revenir à Twitter, vous vous étiez dit, rappelez-vous, que vous iriez jeter un œil un de ces jours sur ce machin… C’était votre résolution pour 2015.
Mauvaise idée ! Voici 5 bonnes raisons pour ne pas vous aventurer dans ce guêpier ! Faites-moi confiance.
Twitter, autant que vous le sachiez tout de suite, c’est un immense lupanar où traîne à longueur de temps toute la lie de la Terre : les anarchistes, les pédagos des Cahiers pédagogiques, les prostituées ukrainiennes, la mafia colombienne, les supporters du PSG, les Bataves, les terroristes, les homosexuels bretons, les syndicalistes de gauche, les anciens ministres…
C’est le royaume de la médiocrité et de la bassesse et les intellectuels, à l’instar d’Alain Finkielkraut qui est un exemple pour nous tous, ont bien raison de dénoncer ces turpitudes desquelles il convient de s’éloigner dès que possible.
Pire, il y a un risque non négligeable que vous croisiez un de vos élèves ! Habituellement, vous mettez tout en œuvre pour éviter d’avoir un rapport quelconque avec ces trublions bruyants, au-delà des cours, bien sûr. Vous n’avez d’ailleurs rien à leur dire, ce n’est pas compliqué. Mais vous risquez aussi d’y croiser leurs parents, ou des chefs d’établissement, le vôtre peut-être, des collègues, allez savoir. Et puis peut-être encore d’autres enseignants comme vous ou encore cette documentaliste qui vous y a poussé…
Croyez-moi, non, vous n’avez strictement rien à dire à tous ces médiocres ni même rien à retirer de leurs babillages fielleux. Vous avez fort justement votre dignité et ne souhaitez pas condescendre à participer à cette cacophonie étriquée d’où la pensée ne sort pas grandie.
Parlons-en. Que dire en 140 caractères ? Twitter, c’est du vide, rien que du vide. Imaginez Stendhal, Rabelais, Rimbaud, Marivaux s’exprimer en 140 caractères !
Twitter, c’est aussi donc le territoire de la pensée minimale, voire minimaliste, où se prélassent les spécialistes de la formule creuse, de la syntaxe anémiée, de la grammaire approximative et de l’orthographe déplorable.
Savez-vous que des maîtres irresponsables y font travailler leurs élèves ? On se demande par quel miracle cette noble institution qu’est l’Éducation nationale peut autoriser ces pratiques honteuses et particulièrement mesquines. Il serait temps de mettre bon ordre à tout ça et de mettre les jeunes à l’abri de ces bauges virtuelles.
Twitter, vous a-t-on dit, c’est un lieu idéal pour la vie sociale et la relation à l’autre. Mais c’est surtout un espace virtuel dans lequel il est très difficile de repérer les experts dont les avis pertinents sont à jamais noyés dans le flux. Comment faire ?
Vous détestez plus que tout que les avis se valent et que n’importe qui parlant haut et fort puisse vous asséner ses convictions, qui plus est si elles sont politiques et donc nauséeuses. Soyez-en certain, Twitter est le repaire de tous ces prosélytes qui embrigadent notre jeunesse et font l’opinion.
Vous devez les fuir. Il n’est même pas imaginable de les rencontrer un jour. Sous le prétexte fallacieux qu’ils exercent leur liberté d’expression, c’est la vôtre qu’ils entravent.
On vous a rapporté aussi que Twitter est un outil puissant de veille sur les sujets qui vous intéressent.
Vous ne le savez que trop, vous n’avez pas besoin de médiateurs. Il est plus que temps de redonner à la jeunesse et à la société le goût de l’effort pour accéder à l’information et à la connaissance. Tout ça se mérite.
Fuyez donc ce réseau social qui s’assoupit à la remorque de curateurs — encore un mot branché qui devrait vous irriter — auto-proclamés et suffisants qui exercent une forme néo-moderne de censure de l’information.
Mais ce qui devrait vous rebuter davantage, c’est que la norme, sur les réseaux sociaux et sur Twitter en particulier, c’est celle de l’échange et du partage. Que veulent tous ces gens à partager les informations qu’ils détiennent ? Qui sont-ils ? Quels sont leurs réseaux ?
Et pourquoi les partageraient-ils s’ils n’espéraient y trouver eux-mêmes des avantages ou en tirer une reconnaissance ? Vous ne serez pas dupe d’une telle duplicité qui montre à l’envi, sous couvert d’une générosité désintéressée, l’hypocrisie des foules avides de la réputation et de la légitimation qu’elles ne méritent en aucun cas.
Sur Twitter comme partout ailleurs, rien n’est gratuit, tout se vend, se négocie, un retweet pour quelques abonnés, un remerciement pour une valorisation…
Le pire vient quand on vous demande de collaborer à des projets collectifs voire collectivistes ! S’il y en a un qu’il convient de fuir à toutes jambes, c’est bien le TwittMooc qui se donne pour mission d’accueillir les nouveaux participants.
Dont vous ne serez pas, non, croyez-moi. Ne me remerciez pas non plus, c’est bien naturel.
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : K Schneider via photopin cc
1. Profs débutants : 10 bonnes raisons d’échapper au numérique https://www.culture-numerique.fr/?p=238
[cite]
Je venais à peine de terminer le onzième épisode de la première saison « Mon plan numérique pour l’école connectée » que voilà une nouvelle saison passionnante, dont j’ai dévoré les 5 épisodes (ouf que 5) d’un trait.
Cette addiction pour les séries me perdra.
Heureusement je ne suis pas addict à Twitter et je suis bien content que Michel Guillou décrive avec autant de détails et de sérieux tous ses défauts, surtout pour les profs.
J’espère que cet article »5 bonnes raisons de ne pas être sur Twitter quand on est prof » deviendra l’article le plus lu par tous ces gens, parents, et profs qui se méfient à juste raison de twitter.
Je regrette juste que TwittMOOC soit cité dans cet article. C’est faire trop de publicité à ce projet. Des gens qui donnent de leur temps et leur énergie pour permettre à tous de mieux se débrouiller…Pff!
Rien que l’expression » les grands débutants côtoient les plus débrouillés dans un esprit d’entraide » me semble très, très inquiétante.
Bon j’attends la prochaine série avec impatience.
Merci Michel
Ahah, la documentaliste, qui veut absolument être prof… merci pour ce bon résumé de Twitter, où on rencontre, en effet, tout ce que vous citez !
Bonne année Michel,
ton « Mountain Bluebird » est superbe, et encourage la lecture de tes « 5 bonnes raisons ».
Merci Éric, bonne année à toi aussi…
C’est bizarre, j’ai compris cet article à rebours, une ode à Twitter…