Du regain de l’épidémie de cécité en période post-électorale

Figurez-vous qu’il ne se passe pas une journée sans que, dans les colonnes des grands médias comme sur les blogues des chroniqueurs spécialisés, soient écrits aujourd’hui, au lendemain de la dernière élection présidentielle, des articles ou billets fort nombreux dissertant du renouveau supposé de la politique éducative de notre République. Ici on glose sur le nom et les orientations de celle ou de celui à qui on pourrait confier le portefeuille de ministre de l’éducation, ailleurs on s’essaie à faire le tour des questions qui agitent le microcosme ou à établir la liste des défis ou enjeux pour l’école de demain.

Je ne tiens pas trop à vous renvoyer vers ces articles ou billets, tel n’est pas mon propos, vous les trouverez bien tout seul. J’ai beaucoup de considération ou même d’amitié pour certain(e)s de leurs auteur(e)s. J’en ai, en revanche, beaucoup moins pour certains de ceux ou certaines de celles qui s’affichent journalistes, tant ils ou elles font montre parfois d’une inculture considérable dans ce domaine. C’est en effet un paradoxe assez convenu en matière d’éducation : ceux qui en parlent le mieux ne sont pas forcément des spécialistes. Encore un effet sans doute du numérique et des dégâts considérables qu’il fait à l’expertise !

Mais revenons à ces billets post-électoraux. Leurs auteur(e)s posent parfois les bonnes questions, énoncent les bons problèmes, énumèrent les défis, challenges ou enjeux auxquels l’école sera confrontée. Fort bien.

Circulez, il n’y a rien à voir

Mais tous ont un point en commun et témoignent de la cécité congénitale et chronique — je sais, c’est compliqué ! — de  leurs auteur(e)s : ils n’évoquent jamais le numérique. Jamais. Pas un mot. Rien. Circulez !

C’est comme s’il ne s’était rien passé depuis deux ou trois décennies ! C’est comme si Internet n’existait pas ! C’est comme si la société de la connaissance n’existait pas, comme si la désintermédiation générale n’avait pas traversé tout le tissu social au point même de bouleverser les médias et les médiations, comme si on transmettait aujourd’hui connaissances et savoirs à l’identique de la fin du siècle dernier, comme si l’intelligence collective n’avait pas bousculé hiérarchies et mandarinats, comme si on pouvait encore travailler seul !

C’est comme si encore les élèves étaient les mêmes et n’avaient pas changé, profondément, radicalement, comme si l’accès de tous à l’expression et à la publication n’était pas un enjeu hautement éducatif et citoyen, comme si toute la société active, entreprises, associations, ne faisait pas sa révolution transformation numérique, ne mettait pas en adéquation son fonctionnement humain même avec l’air du temps !

Encore un effet sans doute du tabou général qui fait qu’on ne parle pas plus du numérique que de sexualité. C’est aussi sale et c’est aussi dangereux, voilà le propos général de bien des éducateurs ou enseignants. Vous croyez que je plaisante ? Vraiment ? Rappelez-vous ce qu’en disait déjà Odile Chenevez en 2007… L’éducation à l’internet était déjà envisagée à l’identique de l’éducation au sida ou aux addictions. Rien n’a vraiment changé.

Non mais, est-ce qu’il est seulement possible de parler innovation dans la grande maison en omettant la dimension numérique — attention, je parle bien du fait global social et culturel, pas de quincaillerie ? Est-ce qu’il est possible de poser la question des inégalités sans s’attarder sur ce que le numérique porte de promesses pour tenter de les résoudre ? Est-il possible de tenter de promouvoir l’éducation au développement durable ou l’éducation aux médias et à l’information hors des enjeux numériques associés ? Est-il possible même d’imaginer la transformation ou la refondation de l’école hors de ces dimensions ? Est-il possible de laisser tout en plan, de s’attarder à observer des effets, sans poser tout de suite, sans tarder, la question hautement essentielle des lieux, des espaces, des temps, des services, des missions ?

Non mais, sérieusement ? Sans blagues ?

Michel Guillou @michelguillou

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Crédit photo : Pixabay

 

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2 commentaires pour “Du regain de l’épidémie de cécité en période post-électorale
  1. brunodev dit :

    Merci de ton billet. Il confirme la place du numérique dans l’esprit de ces fameux commentateurs… et aussi dans celle de nombreux décideurs.
    Ces mêmes personnes utilisent tellement ces technologies qu’elles ne perçoivent même plus la place qu’elles ont dans leur quotidien et celui de chacun de nous…
    Comme le dit Bruno Latour, c’est lorsque ces technologies sont en panne qu’on prend conscience de leur existence et de la place qu’elles ont dans la société.
    Le plus dramatique c’est que « éduquer avec le numérique » ne leur vient même pas à l’esprit. Pour le dire autrement il y a quelque chose d’irresponsable là !!!

  2. lepagegilles dit :

    Je suis d’accord avec toi, les discours, déclarations, débats et articles ne prennent pas comme donnée essentielle la révolution cognitive induite par le numérique, telle que la décrit M. Serres en 2007 devant l’INRIA. Pourtant, son discours était déjà lumineux… Merci de ton billet.

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