J’aime quand les réalités finissent par surgir et éclater au grand jour. J’avais, au début de l’été, dans cet article, tenté d’alerter sur les limites prévisibles du débat sur la refondation de l’école. Derrière les bonnes intentions liminaires, on devinait que la démarche retenue se limiterait aux entrechats ministériels et au saupoudrage de mesurettes.
Ce n’est pas terminé, patientons…
J’ai l’impression pourtant, à lire les commentaires, que nombreux sont ceux qui, conviés à participer à titre personnel ou parce qu’ils sont les représentants d’associations ou de syndicats, ont essayé de collaborer dans un premier temps pour convenir plus tard d’un certain ressenti empreint de franche déception.
Educavox publie un article récent de Pierre Frackowiak dans lequel ce dernier évoque la peur des ruptures. Au long de sa chronique de la refondation, puisqu’il participe à ses travaux, ses questionnements et inquiétudes du début font maintenant place à la désillusion :
Il est vrai que les débats manquent d’un cadre de pensée, en grandes tendances, d’une vision de l’école du futur à longue échéance, d’une réflexion prospective sur la place de l’école dans la société de la connaissance et de la communication. On ne parle que du passé.
Inquiétant, en effet ! Pire, il note, concernant l’incapacité de l’encadrement à s’adapter (notamment à l’innovation et à la culture numérique, là, c’est moi qui l’ajoute) :
Prenons l’exemple de la gouvernance. Pyramidale, autoritaire, par tuyaux d’orgue pour la descente et parapluies à chaque étage pour la remontée. Scolaro-centrée. Il faudra bien mettre plus d’horizontalité, de confiance, d’espace et de temps pour la mobilisation de l’intelligence collective.
Bon, tout ça n’est pas fait pour renforcer mon optimisme déjà fort entamé.
Pour rester dans ce domaine de la refondation, mes camarades des Cahiers pédagogiques — je dis « mes camarades » parce que j’ai vraiment beaucoup d’estime pour nombre de ceux qui participent à leurs travaux — ont élaboré, lors de leurs Rencontres d’été à Gujan-Mestras, en forme de participation à la refondation, une déclaration à propos, notamment, du diplôme national du brevet, dit aussi brevet des collèges :
Le brevet des collèges doit être repensé dans la logique du socle commun de connaissances et compétences […]. Accorder une place à des compétences comme l’expression orale, la recherche documentaire, le travail collaboratif, l’autonomie est essentiel pour préparer les jeunes au monde d’aujourd’hui…
Oui et non.
J’avais déjà, en avril dernier, dans ce billet, noté l’extrême inanité des propositions faites pour faire évoluer le DNB. Non, tel qu’il est proposé aujourd’hui aux élèves de 3e, sorte de mini-bac comme le notent les Cahiers, le brevet doit être supprimé. Basta !
De deux choses l’une, soit le socle permet d’évaluer correctement toutes les compétences à acquérir et il se suffit en soi — on a le brevet si on valide le socle —, soit on pense qu’il ne suffit pas et qu’il faut une épreuve terminale de plus et, alors, il faut en modifier les modalités de manière radicale, pour évaluer certes de nouvelles compétences mais aussi et surtout pour utiliser les outils et techniques d’aujourd’hui.
Dans ce dernier cas, toutes les épreuves du DNB devront être organisées en utilisant tablettes, ordinateurs ou autres terminaux numériques et en ayant accès à l’Internet et à ses ressources, en totalité ou en partie. De nouvelles épreuves seront mises en place permettant d’évaluer correctement les compétences mentionnées supra. On ne vérifiera plus que les élèves sont capables de restituer des connaissances apprises par cœur mais de se saisir puis de s’approprier, de manière responsable, critique, adéquate et organisée, seuls ou à plusieurs, les savoirs disponibles. De publier aussi peut-être puisqu’il semble que cette nouvelle compétence apparaisse aussi importante maintenant que de lire, écrire ou compter.
Comme le soulignent en filigrane les collègues des Cahiers, ce sera aussi, je le crois profondément, un signe fort pour que le numérique soit davantage intégré aux enseignements et que ces compétences nouvelles soient enfin enseignées. On ne fera évoluer les pratiques d’enseignement que si les modalités d’évaluation, aux examens d’abord, sont changées en profondeur.
Ce qui vaut pour le DNB vaut évidemment et plus encore pour le baccalauréat, qui doit être vraiment une passerelle vers l’enseignement supérieur dans lequel, de plus en plus chaque jour, on évalue le travail des étudiants en utilisant le numérique, et, notamment, le travail en ligne.
C’est à la condition de ces ruptures significatives — il en est d’autres, j’y reviendrai — qu’on peut vraiment refonder l’école. Je dis et répète que la refondation sera numérique ou ne sera pas. Il ne s’agit nullement d’une fascination pour des techniques supposément émancipatrices mais de la conviction forte que l’imprégnation du numérique et l’acquisition, par l’école et ses maîtres, de sa culture sont les conditions mêmes de la refondation de l’école pour la mettre en capacité d’évoluer et de former les jeunes citoyens de demain.
« Alors, c’est pour quand la rentrée numérique ? » demande et s’impatiente la mère d’élèves Laurence Bee sur son blog, aujourd’hui-même.
Alors, c’est pour quand, l’école numérique ?
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : Jordi Payà via photo pin cc
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