Éducation au numérique : quand les gendarmes, les policiers et les assureurs font la loi…

Tout a commencé en 2013. Et depuis cette date, j’ai honte. Plus de trois ans de honte, c’est long, c’est dur, c’est difficilement supportable. Et je ne le supporte pas.

J’avais déjà dit que j’avais honte. Honte pour tous ceux qui se sont associés à une telle mascarade. Et je croyais l’affaire plus ou moins enterrée. Mais non, FranceInfo vient nous raconter inopinément, il y a quelques jours, dans un reportage terrifiant, que des gendarmes, un devant la classe, l’autre au fond, tous l’arme au flanc, viennent dire les pires horreurs à des enfants de dix ans ! Un discours relayé sans vergogne par des journalistes complaisants, incapables de même formuler la moindre critique à l’égard du discours lénifiant de militaires en mission commandée. Et, cerise sur le gâteau, ce média complaisant ose placer un bandeau « Éducation » sur son reportage !

« Vous êtes potentiellement piratables ! » prévient tout fier le pandore devant des élèves médusés. Impossible d’entendre bien sûr l’intégralité du discours mais les quelques extraits sont particulièrement édifiants quant à l’approximation du vocabulaire et l’ineptie pédagogique. Le ton est anxiogène, le discours est là pour faire peur, l’alerte est permanente. Pauvres enfants !

D’autant qu’un article récent et particulièrement bien documenté à récemment montré l’incurie des pseudo-experts de la gendarmerie nationale, ce qui d’ailleurs ne laisse pas d’inquiéter pour notre défense.

On va encore dire que je ne sais faire que grogner. Tant pis. Le rouge de l’opprobre me monte au front. Depuis trois ans vous dis-je. Voilà trois ans que des gendarmes et des policiers parcourent les écoles de France pour délivrer, sur le modèle du permis de conduire, un permis Internet aux élèves de CM2. Un permis Internet ! « le Permis Internet est remis à chaque enfant afin de marquer son engagement solennel à être un internaute responsable, en présence du Maire, des gendarmes, des enseignants, des représentants d’AXA Prévention et des parents ». Sic.

Là où, quand il s’agit d’éducation, et d’éducation aux médias et à l’information en l’occurrence, partie prenante des programmes scolaires, il ne devrait se trouver à côté des enfants que leurs maîtres, à l’école, et leurs parents, à la maison, la photo montre qu’il y aussi un maire, des gendarmes et des assureurs ! Et bien visibles, là, au premier plan.

Et il faudrait que je ne sois pas indigné ? Qui ne peut l’être devant une telle démonstration d’anti-éducation, de déni éducatif ?

Qui a osé laisser entrer dans l’école de la République, au mépris absolu de sa neutralité, des assureurs aux dents longues, venus vendre là, dans les familles, leur politique sécuritaire et, tant qu’à faire, quelques bonnes petites polices d’assurance ?

Quels sont les responsables de cette gabegie ?

On m’a assuré, au ministère, plusieurs fois, que personne ne voulait cautionner une telle opération. Et, de fait, le logo du ministère de l’Éducation nationale, n’est pas présent sur le site du permis Internet. Mais il se trouve encore, dans les académies, des directeurs départementaux, des inspecteurs du premier degré, des directeurs d’école, des maîtres pour oser cautionner un tel gâchis, en ouvrant en grand les portes des écoles et des classes à des commerciaux encravatés et à des militaires armés.

Ça y est je suis énervé.

Qui va enfin se préoccuper d’éducation ?

[Mise à jour  20 h 30 : un honorable lecteur me fait savoir qu’il connaît une école où la police fait tout passer le même jour, histoire de gagner du temps, le permis « piéton » et le permis « Internet ». Misère !]

Michel Guillou @michelguillou

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Crédit photo : via Wikimédia

[cite]

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Un commentaire pour “Éducation au numérique : quand les gendarmes, les policiers et les assureurs font la loi…
  1. Georges De Loup dit :

    C’est une question très délicate en effet… Le positionnement est difficile… les associations qui font de l’éducation aux médias c’est bien aussi, mais les dérives sont là aussi, dans un autre sens… mais soit in à un discours humer alarmiste de la gendarmerie par exemple, soit on a in espèce de déballage/prescription d’applications et de matériels (Apple noyaute le secteur apparemment).
    On ne fonctionne plus sur la peur, mais sur le côté sexy… leur apprend on les usages où est ce une démonstration commerciale?
    On prône l’autonomie, l’accompagnement, mais dans les faits on déboule avec des matériels qu’on remballe en partant en fin d’atelier. Bénéfice discutable pour l’élève de 10ans…
    D’autant que les cordonniers sont souvent les plus mal chaussés… il y’a un positionnement intermédiaire à trouver.
    Quand je vois que certaines structures prônent l’absence de contrôle parental sur les navigateurs, et n’abordent qu’en surface les risques potentiels qui sont bien présents, je le constate chaque jour avec mes propres enfants… qu’on nie le caractère potentiellement destructeur de certaines situations… il y’a du déni et de la posture dans tous les sens… c’est devenu un business florissant…
    C’est un sujet à la fois technologique, politique, sociétal… soit in négligé la pédagogie, soit on néglige les risques … On se part de pseudos experts de tous côtés qui sont en fait des auto didactes, experts auto proclamés.. il y’a du ménage à faire…

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