Droits des élèves : un devoir bâclé…

Je terminais un billet récent en suggérant que des espaces soient réservés, sur les sites web des collèges et lycées, à la libre expression des élèves, sous leur propre responsabilité et contrôle, dans le respect des convenances et de la loi.

Revenons-y. Depuis des années, les élèves ont investi les espaces que l’Internet marchand, leur proposait pour s’y exprimer. Rappelez-vous les millions de « Skyblogs » qui restent encore très nombreux, rappelez-vous les heures de gloire de Myspace, pensez maintenant à Facebook…

Fil barbeléPuisque l’heure électorale est aux grandes déclarations et aux promesses, il peut être intéressant d’aller voir ce que proposent à ce sujet les candidats… Je vais vous épargner une lecture exhaustive et une première remarque s’impose : l’éducation, le numérique, la jeunesse ne sont pas, à l’évidence, les priorités des programmes des candidats en course. Si l’on fouille un peu — je vais vous épargner les noms et les citations —, on va bien trouver, de ci, de là, quelques idées sur l’autonomie et la valorisation des initiatives des jeunes mais il n’y a manifestement pas de quoi fouetter un chat.

Et pourtant, déjà, en 1989, la Convention internationale des Droits de l’enfant

Article 3
Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

Article 12
Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.

Article 13
L’enfant a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen du choix de l’enfant.

Article 15
Les États parties reconnaissent les droits de l’enfant à la liberté d’association et à la liberté de réunion pacifique.

Article 29
Les États parties conviennent que l’éducation de l’enfant doit viser à :
a) Favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons et des ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ;
[…]
d) Préparer l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et d’amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d’origine autochtone ;

L’intérêt supérieur de l’enfant comme une considération primordiale, le droit pour lui d’exprimer librement son opinion, les droits à la liberté d’expression, à la liberté d’association et à la liberté de réunion pacifique, l’épanouissement de sa personnalité et le développement de ses dons, il y avait là pourtant largement de quoi alimenter largement la réflexion des candidats et de leurs équipes pour enrichir leurs programmes. Plus de vingt ans après cette Convention fondatrice et imaginative, ils auraient trouvé là l’occasion de proposer aux jeunes des perspectives plus encourageantes, au moment où l’air du temps a plutôt l’odeur d’une morosité déprimante.

Et puis n’auraient-ils pas pu imaginer, tous ces candidats apprentis présidents, que les jeunes d’aujourd’hui sont les électeurs de demain ?

À l’école, les droits des élèves, qui sont très très loin d’être au niveau de ce qu’avait imaginé pour eux les États réunis en convention à l’ONU, sont en général pris en charge par la vie scolaire. Ce sont donc les chefs d’établissement et les conseillers d’éducation qui portent, de manière identifiée et prioritaire, et soutiennent les droits des enfants élèves.

Au lycée, il existe un domaine de droits spécifiques aux lycéens appelé « vie lycéenne ». Ces droits sont définis et rappelés par un certain nombre de textes qui sont disponibles sur le site national de la vie lycéenne.

Voilà qui paraît de bonne facture. Dans la réalité, l’engagement et la représentation des lycéens n’est guère soutenue. Nombreux sont encore, dans les académies, les lycées qui n’ont strictement aucune représentation lycéenne. Les causes en sont multiples mais il est bien rare que la raison principale en soit l’absence d’engagement des lycéens. Encore une fois, un tel projet éducatif, novateur, imaginatif, rassembleur, profondément démocratique, semble devoir passer, en octobre, mois d’élection des délégués lycéens, pour la dernière roue de la charrette. On y pense, du côté des bureaux des proviseurs… Et puis on oublie.

Le deuxième cas assez fréquent est celui des lycées où des élections se sont bel et bien tenues mais où aucun adulte ne prend l’initiative d’accompagner les projets et d’animer la vie lycéenne, renonçant ainsi à tenir l’assemblée générale des délégués de classe, les réunions des délégués au Conseil de la vie lycéenne ou à convoquer ses représentants élus au Conseil d’administration.

Parfois même, on n’accorde aucun crédit, on n’offre aucun moyen matériel pour fonctionner, on refuse ou renvoie les demandes d’entretien ou d’explication, on ne fait pas confiance…

C’est la réalité. Rares sont les lycées où la vie lycéenne fonctionne à peu près correctement.

Il en va de même pour les Conseils académiques de la vie lycéenne et le Conseil national où les délégués, dûment élus et mandatés par leurs camarades, trouvent rarement auprès des recteurs et du ministre une écoute au minimum attentive à leurs projets. Les lycéens sont généralement peu ou pas associés au travail académique ou national ou, quand ils le sont, on leur demande le plus souvent de valider a posteriori par un semblant de concertation ce qui a déjà été décidé ailleurs.

La récente circulaire d’août 2010 a contribué à réaffirmer les droits des lycéens en matière d’association, de réunion, d’expression, d’affichage… Pourtant, au jour le jour, les lycéens continuent très souvent à se heurter, pour faire valoir leurs droits, à l’intransigeance et à la censure de l’administration.

Je ne veux pas continuer, parce que j’ai trop de considération pour leur engagement, à noircir le tableau et à désespérer les lycéens.

Lycéens

Il n’empêche, il est temps d’avancer. Les jeunes d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes. Tout change très vite, l’environnement, l’accès rapide à la socialisation et aux savoirs contribuent à les rendre plus autonomes, plus responsables, plus tôt qu’avant, je crois. Ainsi que je l’ai fait pour le numérique, je vais formuler ci-dessous un certain nombre de propositions, qu’il faut affiner bien sûr. Espérons que celui qui sera élu aura la bienveillance de les lire, de les retenir et de les expérimenter…

1. À l’école, les jeunes sont toujours associés aux décisions qui concernent les projets de classe. Au-delà des principes, on définira ensemble, classe par classe, de manière concertée et négociée, les modalités de l’apprentissage de la responsabilité et de la démocratie écolière.

2. Au collège, est créé un Conseil de la vie collégienne. Sous la férule d’un adulte référent de la vie collégienne, responsable du projet, qui sera chargé de l’animer, ce Conseil fournira aux élus collégiens un cadre collectif et démocratique en capacité de proposer et de formuler son avis sur la vie du collège et l’organisation des enseignements. Ce Conseil de la vie collégienne donnera aux collégiens les mêmes droits que ce dont disposent actuellement les lycéens engagés dans la vie lycéenne.

Un espace est réservé sur le site web de l’établissement à la libre expression des collégiens, accompagnés par l’adulte référent.

3. Au lycée, le Conseil de la vie lycéenne est obligatoire. Les chefs d’établissement sont évalués sur leur détermination à la mettre en place. Les élus lycéens disposent d’un budget propre, d’un local de travail et de réunion, de moyens matériels qu’ils gèrent eux-mêmes, en toute autonomie. Ils peuvent proposer des projets ou l’organisation d’événements en toute indépendance, visant à l’amélioration des moments et lieux de vie et à la promotion de la démocratie lycéenne et des droits des jeunes, dans le respect des enseignements obligatoires. Un calendrier précis est tenu qui prévoit la réunion, une fois par mois, du Conseil de la vie lycéenne. Le président est un élève élu. Les élus du CVL au Conseil d’administration ont voix délibérative.

Et, pour en revenir à ma proposition initiale, un espace est réservé, sur le site web de l’établissement, sous la responsabilité déléguée d’un directeur de publication élève, à la libre expression des lycéens.

Chiche ?

Michel Guillou @michelguillou

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Crédit photo : SonOfJordan et seanmcgrath via photopin cc

[cite]

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