Une compréhension surannée des enjeux du numérique éducatif

Open Share IconLa parution aujourd’hui même, en réponse au Collectif du numérique qui avait profité de la campagne pour interpeller tous les candidats à ce sujet, des propositions du candidat président sortant, est pour moi l’occasion de pointer du doigt, parmi d’autres propositions nettement plus prometteuses, ce qui me semble ressortir parfois d’une compréhension surannée des enjeux du numérique éducatif.

Première idée :

« Et si nos politiques publiques depuis 30 ans se sont exclusivement intéressées à l’équipement numérique des écoles de France, je pense que c’est la question des contenus qui se pose aujourd’hui de façon urgente ».

Je passe rapidement sur le présupposé que les écoles, collèges et lycées seraient correctement équipés. C’est évidemment, pour qui connaît un peu le territoire, complètement faux.

Décentralisation oblige, le paysage numérique éducatif français est caractérisé par une très forte inégalité : ici on enseigne dans un véritable désert numérique, là on connaît une opulence pas toujours bien accompagnée. L’État, qui devait réguler et aplanir les inégalités, n’a pas, malgré quelques tentatives (le plan ENR, par exemple, qui concernait 6 700 écoles pour un total de plus de 54 000), réussi dans cette entreprise.

D’une manière globale aussi, l’équipement des établissements d’enseignement souffre de la comparaison avec celui d’autres pays proches. Se reporter, par exemple, aux chiffres proposés par le 1er rapport Fourgous :

graphe

La différence est encore plus impressionnante pour ce qui concerne les tableaux numériques, par exemple, et il y a plus de 10 fois plus de classes équipées en Grande-Bretagne qu’en France.

Par ailleurs, qui prend en charge la maintenance ? Rien n’est résolu de ce point de vue et malgré les initiatives locales, la règle est que ces matériels ne sont que peu maintenus et qu’il n’y a pas de personnel pour ce faire.

Deuxième idée :

« Pour cela, nous avons besoin qu’émergent enfin en France des champions industriels du numérique pédagogique, susceptibles de fournir les ressources pédagogiques indispensables ».

J’ai déjà eu l’occasion, à l’automne dernier, dans cet article, de dire ce que je pensais de cette question des ressources numériques éducatives.

J’y montrais comment, depuis au moins vingt ans, en l’absence encore de la régulation de l’État mais, en revanche, considérablement nourrie de la manne généreuse que celui-ci lui octroyait, l’édition numérique dite industrielle s’était fourvoyée, sans jamais redresser la barre, à produire des ressources bien médiocres non interopérables et non granulaires, dans la sclérose d’une vision passéiste des droits des auteurs. Il y aurait à dire aussi sur l’incapacité générale de l’édition à prendre le virage du numérique en ligne, dans la nostalgie du papier et d’autres objets pourtant plus récents, disquettes, cédéroms et autres dévédéroms promis aux poubelles de l’histoire.

Il n’y a plus grand monde pour faire confiance à ces éditeurs et les professeurs ont, depuis belle lurette, appris à se prendre en charge seuls.

Troisième idée :

« Là encore, je veux mettre en valeur les contenus produits par les professeurs, qui pourront soumettre des idées d’application et partager leurs conseils et expériences pédagogiques avec leurs pairs.  »

Le dernier chapitre de ces propositions est consacré à l’idée d’une plateforme d’« e-éducation » qui « devra contenir l’ensemble des contenus pédagogiques (gratuits ou payants) approuvés par le ministère de l’Education nationale ». On y suggère que « Le CNDP aurait également en charge l’animation de la communauté des enseignants qui utilisent le numérique ».

Il y a bien longtemps encore que les enseignants n’ont attendu ni le ministère ni le CNDP pour s’organiser en associations ou en groupes plus restreints, pour investir les réseaux sociaux, pour produire eux-mêmes les ressources (documents, manuels, progressions, séquences, idées, projets…) dont ils ont besoin, les échangeant et les partageant gratuitement ou à faible coût à disposition des collègues, dont les plus jeunes d’entre eux, à accorder leur confiance aux meilleurs des produits du commerce, car il en existe, cette notion de confiance collective étant le principal critère de sélection, à valoriser enfin, par des rendez-vous réguliers, le travail des plus innovants de leurs collègues.

Les propositions du candidat, qui procèdent d’une traditionnelle mais passéiste organisation verticale descendante, sont ainsi totalement antagonistes avec le fonctionnement naturel et actuel des enseignants quand ils se regroupent sur les espaces numériques. De même, les propositions faites de stocker en un lieu central des ressources validées, là encore dans une vision centralisée bien étrange et anachronique, sont en opposition avec les logiques de flux qui ont cours, flux dans lesquels transitent à grande vitesse, de manière horizontale, les objets et ressources numériques.

Vraiment, si l’on pouvait nous éviter tout ça, ce retour au siècle dernier, quel que soit le gagnant…

Michel Guillou @michelguillou

Licence Creative Commons

Crédit photo : Si1very

[cite]

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