4 bonnes petites idées toutes simples pour « installer des bastions dénumérisés dans l’école »

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Vous qui me lisez assidûment savez bien que j’ai pris l’habitude, à intervalles réguliers et au fil de l’actualité, de vous prodiguer mes conseils avisés. C’est ainsi qu’il y a plus de deux ans, je donnais aux professeurs débutants dix bonnes raisons d’échapper au numérique (1), puis, plus récemment, cinq bonnes raisons de ne pas être sur Twitter quand on est professeur (2) puis à nouveau, cinq bonnes raisons pour ne pas aller sur Internet avec vos élèves (3). Vous avez suivi mes conseils et je vous en remercie.

Mais la situation empire, le numérique est partout, s’immisce dans notre vie intime à notre grand désespoir. Les jeunes, les élèves eux-mêmes, sont frappés de plein fouet par d’irraisonnables addictions. À tel point que des gens autorisés, de brillants journalistes tels Ziad Maalouf, rejoignant en cela d’autres grands penseurs de l’éducation, s’interrogeaient récemment, lors d’une session récente du Social Media Club :

« Il est inhumain que des gens soient sur un écran alors que vous faites cours. Je pense qu’on devrait installer des bastions dénumérisés dans l’école ».

Quelle brillante idée ! Pour lui donner du corps, vous trouverez ci-dessous quatre propositions raisonnables qui pourront être reprises telles quelles par les responsables du système éducatif, du côté de l’État comme du côté des collectivités territoriales.

N’utilisez jamais aucun outil numérique !

Malgré les encouragements institutionnels, malgré les programmes qui y font référence, malgré les demandes pressantes des élèves et des collègues, n’utilisez jamais, en aucune circonstance, aucun outil numérique. Jamais. Pour quoi faire, au fond  ?

Lanterne magiqueVous êtes professeur et avez des documents à montrer à vos élèves ? Sortez les bons et encore fort utiles rétroprojecteurs ou les lanternes magiques dont il doit encore exister quelques exemplaires dans les laboratoires de sciences des collèges et lycées. Vous avez des recherches à faire ? Il y a encore au CDI, grand merci à l’aimable documentaliste qui trône là, de nombreux ouvrages encyclopédiques dont la qualité ne peut souffrir contestation et qui font référence. Vous avez à communiquer les notes ou les appréciations de fin de trimestre ? Exigez qu’on vous fournisse les fort pratiques kalamazoos qui n’ont jamais été remplacés.

Vous êtes chef d’établissement et la collectivité a inscrit votre collège ou votre lycée à son programme d’ENT… Ne consultez personne et refusez tout de go. Les absences, les notes, les échanges avec les familles se feront très bien à l’ancienne, par voie postale ou lors de réunions.

Ainsi, peu à peu mais sûrement, se construira autour de vous, dans vos classes, votre école ou établissement, la profonde et consensuelle conviction d’un fort et définitif attachement aux valeurs traditionnelles de l’école, auxquelles vous êtes bien sûr très fidèle. On saura partout que la fallacieuse et superficielle supposée modernité du numérique ne passera pas par vous. C’est une méthode douce mais, croyez-moi, fort efficace. On vous en saura gré.

Procédez à la fouille systématique des élèves

Fort heureusement, certains présidents de régions ont de bonnes idées. Faites comme celui qui préside la nouvelle région Auvergne-Rhône-Alpes, demandez à votre collectivité de rattachement d’installer des portiques de sécurité à l’entrée de votre établissement. Vous pourrez ainsi dans le même temps lutter contre le terrorisme, l’introduction de drogue ou d’armes mais aussi, c’est là tout l’avantage, repérer les « smartphones » des élèves dont ils devront se séparer illico.

Faute de cet appareillage sophistiqué, ne baissez pas les bras, mobilisez quelques surveillants à cette tâche matinale qui procéderont à une fouille à corps obligeant ainsi les élèves à se débarrasser de leurs hideuses et fort encombrantes technoprothèses.

Installez partout des brouilleurs puis…

Là encore l’exemple vient des fulgurantes initiatives des hommes politiques. Notre ministre de la Justice veut bannir les portables des prisons et s’emploie à déployer partout des solutions simples et éprouvées : portiques, fouilles et brouilleurs. Pourquoi ne pas faire la même chose dans nos écoles et établissements ? Voilà qui rassurerait beaucoup de monde.

Les fabricants de brouilleurs sont capables, d’ores et déjà, de fournir des dispositifs simples qui empêchent tout usage intempestif des téléphones mobiles dans l’enceinte scolaire et ce avec une nocivité très faible pour l’environnement. Comment ? C’est interdit ? Bah… ce n’est qu’une question de semaines. Je ne doute pas que nos vaillants parlementaires qui ont déjà interdit tout usage des téléphones mobiles procéderont aux modifications qui s’imposent pour inscription au code de l’Éducation. Il y a urgence maintenant.

Et puis, quand on a commencé à utiliser des détecteurs au moment du baccalauréat, on peut bien passer à l’étape du brouilleur…

… Passez directement à l’étape des « Imsi-catchers »

C’est nouveau, ça vient de sortir, c’est de la technologie de pointe. La récente loi sur le renseignement en a autorisé l’utilisation par les services qui s’occupent de ça. Wikipédia nous dit qu’il s’agit d’« un matériel d’espionnage téléphonique utilisé pour l’interception du trafic de téléphonie mobile et pour pister les mouvements des terminaux et donc de leurs porteurs » et Le Monde explique ici très bien comment cela fonctionne. C’est exactement ce qu’il nous faut ! Un appareil placé de manière idoine dans le bureau du chef d’établissement qui nous dirait que Kévin Boullard, de la classe de 3e 4 vient d’envoyer un texto brûlant à Fathia Benamou en 4e 5 et ce depuis la salle 206… C’est exactement ce dont l’école a besoin !

De quoi compléter fort joliment l’attirail dédié au renforcement de la forteresse antinumérique… Autre avantage, peu de personnel suffit à la surveillance des écrans de contrôle et sa présence est inutile dans la cour et les couloirs.

Les collectivités pourraient aussi prendre leur part à ce projet audacieux en sollicitant leurs architectes afin qu’ils placent autour des écoles ou des établissements des ceintures d’arcs métalliques constituant une cage de Faraday interdisant la pénétration des ondes radio ou téléphoniques.

Voilà de quoi très sérieusement rassurer Ziad Maalouf ! Comme dit ce dernier, l’école serait ainsi protégée par les murs épais de bastions dénumérisés. Les professeurs pourraient ainsi tranquillement faire cours.

Enfin.

[Mise à jour du 6 mars 2016 : une aimable lectrice me signale une initiative de dénumérisation qui ne disposait pas, bien sûr des moyens évoqués plus haut mais à laquelle il faut rendre l’hommage qu’elle mérite. Comme je le dis souvent, la civilisation est en marche… Voir ci-dessous.]

Michel Guillou @michelguillou

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Crédit photo : via Pixabay Creative Commons CC0 et Andreas Praefcke (Travail personnel (own photograph)) [GFDL ou CC BY 3.0], via Wikimedia Commons

  1. 10 bonnes raisons d’échapper au numérique https://www.culture-numerique.fr/?p=238
  2. Utile : 5 bonnes raisons de ne pas être sur Twitter quand on est prof… https://www.culture-numerique.fr/?p=2475
  3. Les 5 bonnes raisons pour ne pas aller sur Internet avec vos élèves https://www.culture-numerique.fr/?p=2730

[cite]

Posté dans Billets d'humeur, Ressources
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7 commentaires pour “4 bonnes petites idées toutes simples pour « installer des bastions dénumérisés dans l’école »
  1. Ninon Louise LePage dit :

    Vous aimeriez que nous en rions mais tout cet attirail que vous décrivez m’effraie par son réalisme. Aujourd’hui, contrairement à mon habitude, j’espère que vous n’ayez aucun lecteur. Bon weekend tout de même.

  2. Ninon Louise LePage dit :

    C’est vrai il nous faut avoir confiance. Je pense maintenant comme TOI!

  3. Lannoy29 dit :

    Génial. Superbement écrit. Mais tellement effrayant car dans le fond toute ressemblance avec la réalité serait si fortuite…

    PS : J’espère que le second degré sera au première loge du lectorat.

  4. ziad dit :

    Merci pour la citation ;-) et pour les éloges (loin d’être mérités). De nos discussions, il était surtout ressorti l’idée que l’outil informatique seul n’était pas aussi « nuisible » que la connexion. C’est la connexion qui en fait une fenêtre ouverte vers l’extérieur et une mine de diversions et d’inattention.

    • Merci aussi pour l’aimable commentaire. Oui, la connexion est une mine de problèmes mais aussi pour ceux qui avancent, une mine d’ouvertures et de potentialités…

      C’est un doux rêve que de vouloir dénumériser ou déconnecter l’école ou ceux qui y travaillent ☺

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