L’équipement ne peut pas être un préalable à la transformation numérique de l’école

Vélo

Ce billet est lié, pour moi, à la nécessité de répondre autrement qu’en 140 caractères ou par des phrases sibyllines à des commentaires qui ponctuent parfois certaines de mes publications sur les réseaux sociaux. De quoi s’agit-il ? Vous le savez, l’actualité a contraint toute la société à s’interroger sur la manière dont sont transmises les valeurs de la République et il ne se passe pas une semaine sans qu’une annonce relative à l’école ne vienne, peu prou, concerner la stratégie numérique et bousculer son avancement.

Pour tout vous dire, c’est franchement cacophonique. Pour ma part, je n’y comprends plus rien. Les journalistes spécialisés non plus qui font d’ailleurs des prises de parole des uns et des autres des interprétations différentes. Par exemple, si quelqu’un a compris quelque chose à cette histoire de grande école du numérique dont le président nous a donné la primeur, je suis preneur d’un décodage. De même pour « le numérique qui sera enseigné de l’élémentaire à la terminale, avec des diplômes correspondants »… Allez y comprendre quelque chose ! Qu’est-ce que c’est que ces diplômes correspondants ?

Et le même article en référence continue à nous faire rire en nous rapportant les commentaires éclairés du président du Conseil national du numérique — et dire que ce monsieur est censé conseiller la présidence de la République ! — qui entend, dans les déclarations de François Hollande, que ce dernier s’inspirerait, pour son école numérique, de l’école 42 de Xavier Niel ! Je ne sais s’il convient d’en rire ou d’en pleurer. Même Xavier Niel, dans ses rêves les plus fous, n’aurait imaginé cela, la généralisation de son modèle à l’école de la République ! Des armées de petits codeurs, sans prérequis, sans diplômes, qui ont raté leurs études, comme dit Benoît Thieulin, sans professeurs… L’école rêvée, quoi !

Mais quelle cacophonie ! Y comprend-on encore quelque chose, à la DNE, au moment où se déroule la consultation nationale sur le numérique pour l’éducation ?

Venons-en à mon propos initial.

J’annonce donc tout cela un peu partout, espérant en vain un éclairage pertinent de mes lecteurs, et reçois, à plusieurs reprises le même commentaire :

« C’est bien joli, tout ça, mais il faudrait commencer par équiper les écoles… »

Eh bien non. Je ne crois pas, non, que l’équipement soit un préalable à l’engagement numérique de l’école.

Entendons-nous bien ! Être équipé correctement permet de mettre en œuvre plus aisément une pédagogie rénovée, bien sûr. Imaginons pour cela une salle bien câblée, avec un Internet disponible à très haut débit, avec des vidéoprojecteurs pour montrer, des appareils photos ou des caméras pour capturer, des dispositifs interactifs pour apprendre et surtout garder la trace des parcours et des erreurs — j’ai toujours pensé que ces tableaux ou vidéoprojecteurs interactifs étaient destinés à l’élève plus qu’au professeur. Et puis, il y aurait aussi à disposition des ordinateurs portables, d’autres terminaux numériques connectés qu’on pourrait prêter aux élèves ou garder en classe, selon les circonstances… Le rêve, quoi.

Sans doute, mais…

Mais rappelez-vous que le numérique, comme je ne cesse de le répéter, c’est d’abord du lien, de la mise en relation, de l’horizontalité réticulaire pour faire plaisir à Nipédu, du partage, de l’échange, du flux. Et puis, le numérique, c’est surtout de l’humain, des valeurs, de la transmission pair à pair plus que verticale, de l’activité, de la co-construction, de la collaboration, de l’entraide, de l’engagement, que sais-je encore ? mais de l’humain, vous dis-je.

Et qu’adopter ces postures-là, ces modes de fonctionnement, ces modalités d’enseigner, c’est se mettre en accord et en conformité avec la société numérique et que c’est vivre dans son temps.

Il est alors beaucoup plus facile de se mettre en projet pour s’équiper et acquérir du matériel, celui qu’on désire et pas celui qu’on vous impose, celui qui vous convient et pas celui qui tombe du ciel.

Celui qu’on désire…

Michel Guillou @michelguillou

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Crédit photo : IMG_0030 via photopin (licence)

[cite]

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13 commentaires pour “L’équipement ne peut pas être un préalable à la transformation numérique de l’école
  1. Thierry dit :

    Un jour, vers 2037, une historienne du CNRS (avec un nom double comme le veut la coutume) analysera les prémices du développement numérique à l’Ecole. On y trouvera ce genre de billet frappé au coin du bon sens et plus encore d’une expertise pas si courante en fait. Le numérique me parait bien constituer ce que disait Clemenceau de la guerre, à savoir qu’elle est trop sérieuse pour la confier aux militaires. Ceux qui décident n’y connaissent rien et ceux qui s’y connaissent ne décident rien.
    Pour finir sur l’illusion matérielle, j’y souscris totalement. Depuis cette année, dans mes tournées habituelles, quand un chef me gonfle avec les « tablettes qui manquent » ou la « classe pupitre défectueuse » pour expliquer l’absence totale de prise en compte de cette problématique dans son bahut, je défends l’idée du concept sans machine, histoire de démontrer qu’il s’agit d’abord d’une posture pédagogique. Son absence est en fait plus grave que celle d’une machine chinoise choisie par les élus régionaux totalement hermétiques aux logiques profondes du sujet. Il y aura de plus toujours des difficultés matérielles et techniques, plus encore des inadaptations de l’outil à l’utilisation qu’on veut en faire. Les ordis c’est comme ça. Par contre, des TBI et des bécanes suivis de leur utilisation plate, descendante et moutonnière, on le voit régulièrement.
    Devant cette sortie, J’ai souvent droit à des regards étonnés mais si tout le monde faisait comme moi, je ne doute pas que le sujet avancerait. CQFD !

  2. Stephane dit :

    Merci pour ce partage.
    Dans le lycée de mon fils, 250 tablettes dorment faute de projet pédagogique ! Difficile de faire comprendre que les équipements ne sont pas une fin mais un moyen. Dans d’autres secteurs en pleine mutation, comme le retail ou les instituts culturels, nous sommes confrontés aux mêmes problématiques. Est-ce une dictature du visible et du court terme, un problème de vision à moyen et long terme ? Je le pense. A nous d’accélérer les changements, d’humaniser les outils à la vitesse de signature d’un bon de commande … pas facile je vous le concède.

  3. Sébastien Reinders dit :

    Bonjour Michel,

    Tu as plus d’un lecteur qui t’a compris, et qui d’ailleurs ne peut qu’être d’accord avec toi.

    Etant, tu le sais, moi-même un de ceux qui crée ces plans d’équipements dans notre belle Wallonie (eh oui… les belges …), je ne cesse de dire et de rappeler que le matériel, s’il peut être nécessaire, est totalement insuffisant.

    En effet, la structure complète si l’on veut l’aborder de manière technophile, sous entend également la mise en place des aspects suivants (dans le désordre ) : le support logistique, la formation initiale et continue, l’animation de la communauté des enseignants …

    Et même avec tout cela, pour la majorité des enseignants, je pense de plus en plus qu’il n’y aura de changement durable et important tant que nous ne mettrons pas en place un cadre qui permet à celui-ci d’exprimer sa créativité, son esprit d’innovation et de motivation (pédagogique s’entend).

    Le moteur du changement peut être une fuite technophile en avant, … mais une réflexion sur les besoins réels et les enjeux menant à une appropriation raisonnée et utile pour l’enseignant et l’élève.

    Bref, et malgré un nombre important de formations proposées plaçant les besoins pédagogiques et la réflexion avant l’usage numérique,…je n’ai pas encore trouvé la recette qui marche, et qui perdure… !

    Sébastien

    • Sébastien, en effet la recette magique est difficile à trouver, nous en avions discuté lors de ma visite en mai dernier. Pourtant, on peut, je pense, trouver quelques ingrédients : collectivement, localement, avec bienveillance, co-construction etc. Depuis septembre, nous avons, dans mon collège, trouvé une formule (expérimentation), qui loin d’être idéale, marche pas trop mal : un « pegagolab » basé sur la formule des fablabs et des mingas. :http://odysseedln.overblog.com/pedagolab et http://docpourdocs.fr/spip.php?article555
      Bref, s’appuyer sur les compétences des uns des autres, prendre en compte hétérogénéité, les besoins et les envies de chacun, prendre en compte l’inter et transdisciplinarité, la motivation individuelle et collective…
      Et là des besoins techniques et matériels émergent parfois,… ou pas : se rendre compte aussi, comme le dit Michel dans son billet, que ce n’est vraiment pas le matériel qui importe mais la pédagogie ET le scénario pédagogique qui se met en place.
      Juste, pour finir, une petite nuance : nous avons 6 tablettes et il m’arrive d’inventer des situations où je les mets à disposition des élèves alors que ce n’était pas forcément prévu. Dans ces cas précis, la tablette devient un outil « facilitateur » pour une pédagogie plus active et coopérative.
      Ainsi, « L’équipement ne peut pas être un préalable à la transformation numérique de l’école » : bien sûr qu’on ne peut être que d’accord avec cette formule, et on peut même aller plus loin en disant que le travail et la réflexion en équipe et « distribués » (expression de Divina Frau-Maigs http://odysseedln.overblog.com/emi-distribuee.html) doit être un des préalable à la transformation numérique de l’école.

  4. Merci à vous 2 pour vos aimables et pertinents commentaires. Amitiés, Sébastien.

  5. Thierry dit :

    Sébastien a tout dit « Et même avec tout cela, pour la majorité des enseignants, je pense de plus en plus qu’il n’y aura de changement durable et important tant que nous ne mettrons pas en place un cadre qui permet à celui-ci d’exprimer sa créativité, son esprit d’innovation et de motivation (pédagogique s’entend). » Il nous faut des machine et de la liberté. Tiens ? Je vais appuyer sur ces deux trucs dans mes petites balades et… même ailleurs :-)

  6. Abonder, « plussoyer », …
    Bon, soyons clairs ! Il existe bien quelques choses entre matériel et enseignants.
    Alors oui ! on peut s’interroger sur ces 250 tablettes qui roupillent. Et en même temps se dire que c’est étrange que les TBIs s’utilisent comme avant…

    Mais aussi, se dire que (dixit le modèle SAMR de Ruben Puentedura) les choses se structurent lentement et nécessitent beaucoup de temps avant de fonctionner à l’extrême.
    Et j’ajouterai que, sans matériel, difficile de faire évoluer la pédagogie. Et ce, du stylo bille à la tablette.

    Moi, ce qui me peine, c’est que des enseignants motivés, j’en croise des tas qui voudraient bien être équipés, non pas parce que c’est dans le mouv’, mais bien parce que, au contact de leurs élèves, ils savent ce que signifie « avancer dans l’ère du numérique ».
    Et aujourd’hui, on tire sur l’ambulance et on fait des constats tirés à 4 épingles au lieu de se prendre en main et cesser de caresser la bête dans le sens du poil.

    Qui est la bête ?
    Multiple et simple portant à identifier :
    – verrouillage des projets au sommet de la pyramide
    – propositions basées sur une vague idée plutôt que des règles
    – méconnaissance du terrain et portant forte tendance à faire croire le contraire
    – choix basés sur les marges plutôt qu’autre chose (oui, mais quoi ? : demandez à ceux qui se heurtent au problème)
    – solutions de gestion contre-productives
    – et le plus dramatique : monopole des décisions prises et aucune réelle autorité de régulation, évaluation et moyen de lutter contre des choix initiaux faussés.

    On se connait tous un peu. Et pour cette raison, je me permets d’être un tantinet cruel. C’est bien notre force de comprendre les enjeux et notre faiblesse de ne pas être arrivé à participer à l’élaboration de tout cela.

    Nus nous rencontrons en des lieux privilégiés, entourés des personnes les plus à même de faire des propositions autres que nos constats. Alors, quid ?

    Chez moi, ce ne sont pas 250 tablettes qui dorment, mais beaucoup plus. Vous voulez savoir pourquoi ? Demandez aux enseignants qui vont en formation, s’imprègnent du rôle d’élève, intègrent les fonctions et les plus values, et retournent ensuite dans leurs établissements dotés…

    Ils se demandent bien ce que font les experts !
    Allez, je me calme…

  7. Valérie Martin dit :

    Bonjour,
    j’ai 42 ans, j’ai donc connu « le plan informatique pour tous » en tant que collégienne et aujourd’hui je travaille dans la sécurité informatique. Ce que je constate au travers de mon vécu personnel et celui de mes enfants dans leurs établissements, est que le matériel ne sert strictement à rien s’il n’y a personne capable de s’en servir (fournir du contenu) et de l’entretenir. Je ne voudrais pas jeter la pierre aux professeurs de technologie, documentalistes et Personne Ressource Informatique (PRI), mais quand on voit l’état du parc informatique de certains collèges, on se dit qu’il y a un problème. Faire un gros chèque à un instant T pour équiper les établissements ne sert qu’à faire les manchettes des journaux, si ça n’est pas partie intégrante d’un projet avec du personnel formé et motivé ça n’aura guère plus d’effet qu’un feu de paille (et quelques années après on se retrouve avec des machines potentiellement dangereuses avec du Windows XP ouvert à tous les vents).
    Ensuite il faut résister aux sirènes des modes commerciales, aucune tablette ne guérira miraculeusement l’éducation nationale de ses maux ou transformera un gamin en difficulté en l’élite de la nation. L’industrie de l’électronique/informatique grand public ne produit désormais pratiquement plus que du jetable (obsolescence programmée) qui au bout de deux ans ne bénéficiera plus d’aucun support technique (achetez le nouveau modèle) et enferme ses utilisateurs dans systèmes où il perd le contrôle de ses données et applications. Deule alternative réellement pérenne les solutions Open Sources (qui tardent encore un peu à décoller sur tablette, mais Ubuntu et FirefoxOS font des avancés dans ce domaine). Maintenant mon avis personnel est qu’il faut totalement déconnecter l’éducation nationale du monde commercial, il ne sert strictement à rien de s’équiper avec les derniers gadgets à la mode, il faut des outils adaptés à un besoin clairement exprimé. On veut passer à un cartable électronique pour soulager le dos des gamins ? Pas de problème on définit ce besoin et on demande de disposer d’une maintenance de 6 ans sur chaque appareil et des caractéristiques de robustesse adaptées aux manipulations prodiguées par la population cible (si on s’assoit sur un livre ou on le fait tomber il « fonctionne » encore).
    Par ailleurs il ne faut pas perdre de vue certains fondamentaux : les pionniers de l’informatique n’avaient pas d’ordinateurs très sophistiqués, voire du tout, à leur disposition… certains champs de recherche comme la théorie de l’information datent de l’après guerre (1948 ici) il n’y avait alors que quelques calculateurs spécialisés, pas de microprocesseur (1973) et pourtant certains travaux de l’époque comme le codage de Huffman (1952) sont encore utilisés de nos jours (HPACK dans HTTP/2 normalisé en 2015). Il n’est pas nécessaire de disposer d’un ordinateur pour expliquer le fonctionnement d’un codage de longueur variable comme le codage de Huffman, un tableau et une craie suffisent largement. On peut expliquer plein de fondamentaux d’une culture numérique (et de la sécurité informatique) sans avoir recours au moindre appareil électronique, ok après quand on travaille sur un moteur d’inférence ou une base donnée relationnelle c’est tout de même plus intéressant d’en avoir sous la main. Mais que je sache on donne bien des cours d’atomistique en fac sans avoir nécessairement de grand collisionneur dans le sous-sol.
    Le question d’apprendre « le code » me fait également un peu peur, s’agit-il d’un langage de programmation concret ou abstrait ? On a gavé le crâne de ma génération avec Java, aujourd’hui c’est un langage en perte de vitesse et si besoin est « un pisseur de code », excusez l’expression, tunisien ou indien coûtera bien moins cher, car oui les métiers du numérique ça se délocalise extrêmement facilement (et les informaticiens tunisiens et marocains avec qui j’ai des contacts soignent leur français bien plus que nombre de locaux). Alors apprendre des rudiments d’algorithmie et manipuler un peu d’ECMAScript pourquoi pas, maintenant il ne faut pas perdre de vue que ce secteur évolue tellement vite qu’il n’est plus improbable que les élèves qui entreront au primaire l’année prochaine interagiront uniquement avec une IA (Intelligence Artificielle) pour programmer quoi que ce soit à l’âge adulte (imaginez Siri ou Cortana dans 15 ans). On peut déplorer que la génération accro à Facebook et Twitter ne comprenne en définitive pas grand-chose aux rouages du numérique et que cette industrie puisse se trouver actuellement en manque de forces vives, mais quoi que l’on entreprenne maintenant ça ne correspondra pas aux besoins dans 10 ans (donc autant rester sur des enseignements fondamentaux), et surtout ça ne compensera pas les nuits de sommeil écourtées à faire mumuse avec des gadgets électroniques toujours connectés, le déficit d’attention qui en résulte, la propension du cerveau à ne plus savoir mémoriser durablement quoi que ce soit car en définitive toute l’information n’est pas bien loin sur le net.

  8. Pierre Travers dit :

    Un petit problème de formation (initiale ET continue) aussi peut-être? De conception du boulot? De clarification des missions (bachotage versus pédagogie de projet par exemple)?

    • Ah ben oui, Pierre. Merci pour ce commentaire d’un article déjà vieux (2 ans, un siècle !).

      Plutôt que de formation (qui a largement accumulé les échecs, surtout en formation initiale), je préférerais qu’on parle d’acculturation. Et puis, il faut changer les programmes, les examens, les missions et les méthodes, tu as raison.

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Bon, après quelques modifications du code, la une semble reprendre forme humaine :)

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