Les technologies sont mortes, vive le numérique !

medium_2950977019[Tous les événements ci-dessous se sont déroulés ou se déroulent dans les beaux établissements scolaires de notre pays.]

Ah, les années 80 !

Les premiers PC, des 8086, des 8088, puis les premiers AT, pas vraiment des IBM, non, trop chers,  mais des compatibles comme on disait, des assemblages de marques improbables… qui faisaient tourner LSE .

Puis un miracle, mais aussi première erreur majeure, en 1985, le Plan IPT, des formations, des matériels, pas vraiment compatibles avec les précédents, oui, mais en réseau (nano, bon…), des langages, LogoBasic, des programmes pédagogiques mais aussi bien des pannes, des insuffisances…

Je cite Wikipedia à ce sujet qui dénonce à juste titre :

« […] le choix de mettre l’accent sur l’enseignement élitiste de la programmation au détriment de l’utilisation populiste de progiciels… »

Fin des années 80, en 1987 probablement, arrivée de superbes machines PC Victor dotés d’une carte graphique monochrome Hercules, bien pratiques pour faire tourner des programmes scientifiques…

Deuxième erreur majeure : ces machines étaient fléchées à l’usage exclusif des professeurs de technologie. De fait, les autres disciplines, qui s’étaient emparées d’usages innovants, ont peu à peu abandonné ce qu’on leur a clairement indiqué comme ne faisant pas partie d’un domaine partagé mais ressortant des seuls enseignements scientifique et technologique.

Dans les lycées, sous l’influence conjointe de l’EPI et des lobbys universitaires de la science informatique, on a pu expérimenter puis progressivement déployer une option informatique très ambitieuse : au programme la programmation, l’algorithmique, la technique informatique, l’informatique scientifique. Vous l’avez compris, un enseignement pour l’élite déconnecté des enjeux de société. Et surtout l’idée, avec cette option, que ça ne concernait que ceux qui daignaient s’en occuper. Des années perdues pour tout le monde, à commencer par l’école et la pédagogie, juste la troisième erreur majeure.

Début 90, le chaos. Un équipement très hétéroclite (nanoréseaux encore vivants, PC ou AT achetés sur fonds propres ou récupérés dans les entreprises qui s’en débarrassaient, toutes sortes de matériels divers dont bien sûr des Macintosh), les pionniers se débrouillaient comme ils pouvaient, montaient leurs premiers réseaux filaires avec du câble coaxial, fabriquaient eux-mêmes les programmes dont ils avaient besoin ou, le plus souvent, utilisaient les premiers mais bien décevants logiciels pédagogiques des éditeurs.

Et puis est arrivé l’Internet, auquel on accédait via des modems plus ou moins poussifs. Il fallait une ligne téléphonique, bien sûr, dédiée le plus souvent, et la connexion n’était que rarement partagée.

Ce fut une bien longue décennie, celle des pionniers de l’informatique pédagogique (on appelait ça comme ça à l’époque), de l’Internet et du web naissants, du multimédia, des réseaux et de l’apprentissage de leurs usages.

Les lois de décentralisation dataient pourtant de 1982 mais les collectivités, régions et départements d’abord, communes plus tard, se sont aperçues assez tard qu’il convenait de mettre à la disposition des établissements scolaires les matériels numériques (oh ! le joli mot ! j’y reviens…) dont maîtres et élèves avaient besoin. Il s’agissait de machines, serveurs, périphériques, mais aussi quand c’était possible, du raccordement à l’Internet et, plus récemment, des ENT.

Le nouveau siècle est celui des usages pédagogiques du numérique. On ouvre la voie à l’expression en ligne, à la création, au décryptage des images et des médias, à une nouvelle citoyenneté numérique. C’est aussi celui de la quatrième erreur majeure que constitue le B2I, pourtant une bonne idée a priori, mais si mal appliquée sur le terrain : des professeurs revêches, une inspection souvent ignare et circonspecte, des chefs d’établissements irresponsables qui confient le plus souvent l’organisation du bébé aux seuls professeurs de technologie (tiens donc ! encore ?) dans les collèges ou s’affranchissent même des injonctions ministérielles en ne le mettant pas en place dans les lycées. Bref, un grand n’importe quoi !

Plus tard, on s’exerce avec les TNI ou tableaux numériques interactifs — peu importe qu’ils soient ou pas blancs ! —, on baladodiffuse, on se positionne avec les boîtiers éponymes, on recherche, on apprend à rechercher (dans cet ordre-là le plus souvent), on filtre et censure en grand sans se poser de questions, on vidéo-projette, on simule, on nomadise…

C’est l’heureux moment des TIC, appelées plus tard TICE puis, dans le 1er degré, TUIC en se référant à la compétence 4 du socle commun. Il y a dans chacun de ces acronymes le T technologique en trop qui constitue la cinquième erreur majeure. Ce T porte les stigmates de la technologie triomphante dont bien peu de disciplines, de fait, sont à même de s’accommoder.

C’est l’époque où on voit fleurir des stages disciplinaires « Tice et lettres », « Tice et anglais », ad. lib. Il n’est probablement jamais venu à l’idée de leurs promoteurs, soutenus toujours par la même inspection circonspecte, de proposer les intitulés de ces formations en inversant les deux termes. Par ailleurs, la fascination des pionniers pour la technologie — on sépare alors les masses en deux clans, les techno-résistants et les techno-facilitateurs — conduit souvent dans ces stages disciplinaires à s’interroger longuement sur l’outil et ses modalités d’usage transversales et assez peu souvent sur leur utilité pour enseigner et apprendre. Avec ce T, la pédagogie et les apprentissages ont été proprement escamotés.

Ce n’est que dans cette nouvelle décennie, celle des années 10, tout récemment, que certains, bien rares encore, mais d’abord sur le terrain bien avant que les aréopages se sentent concernés, ont commencé à prendre conscience, à l’exemple du choc violent qui secouait déjà la société, l’économie, les médias, des enjeux pour l’école de l’émergence du numérique.

Le numérique, c’est quoi ? Difficile de répondre de manière complète et exhaustive… Sans doute des outils et des techniques mais pas seulement… L’obligation qu’a l’école de s’y atteler la contraindra à un tel changement de paradigme dans les modes d’acquisition des savoirs, les modes d’appropriation des connaissances, dans les postures mêmes des maîtres face aux apprentissages, face aussi aux usages numériques médiatiques des élèves, que la question matérialiste des outils et des technologies mises en œuvre ne se pose alors plus.

Mon titre est provocateur, bien sûr, et les technologies, fort heureusement, sont encore bien vivantes. Le numérique ne serait rien sans elles mais appréhender la complexité et l’importance du numérique, c’est aussi savoir s’affranchir des outils et des techniques.

C’est l’occasion de rappeler la sixième erreur majeure que constitue cette invraisemblable initiative, encore soutenue par l’EPI qui devrait plus souvent lire Wikipedia — voir la citation que je propose au début de ce billet —, que constitue le dernier enseignement de spécialité en Terminale S «  ISN, Informatique et Sciences du Numérique », dispositif de sélection, d’exclusion, de confusion.

À quand la septième erreur ? Ce sera alors une autre histoire…

Michel Guillou @michelguillou

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Crédits photos : just.Luc via photopin cc

 

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