Numérique éducatif : un court état des lieux

Horizon

J’étais invité mardi dernier 9 octobre à ouvrir le colloque organisé par la Fondation ADN sur le sujet des nouveaux outils de l’éducation.

J’avais proposé à la Fondation Free, partenaire de l’événement, au nom de laquelle j’intervenais, de présenter un diaporama en forme d’état des lieux. Il était supposé servir de support à la réflexion de tous quant à l’avancement de l’énorme chantier du numérique éducatif.

Vous trouverez ce diaporama ci-dessous :

Le numérique éducatif, état des lieux

J’y évoque successivement un certain nombre de points sur lesquels il est possible d’agir pour avancer :

  • La connectivité Internet

La France, comme le titre Macgénération suite à l’enquête Akamai, porte le bonnet d’âne en matière de débit Internet. Celui qui est proposé au public est, en moyenne, un des plus faibles d’Europe et se situe au 45e rang mondial. Concernant la pénétration du haut débit via la fibre optique, c’est une autre enquête qui montre, là encore, la très grande médiocrité du déploiement en France. En Europe, seules l’Italie et la Turquie font pire.Les établissements d’enseignement, écoles, collèges et lycées sont confrontés de plein fouet à ces difficultés. Si les Universités sont généralement très bien connectées, les lycées et collèges n’ont pas bénéficié, à quelques exceptions près, du raccordement au très haut débit proposé par les collectivités locales à l’enseignement supérieur. Une enquête de 2010 montre l’état désastreux de la connectivité. Seul un collège ou un lycée sur cinq bénéficie d’un débit supérieur à 10 Mo/s. La plupart des grands lycées utilisent pour des milliers d’élèves le même débit que n’importe quelle famille pour ses seuls usages. Quant aux écoles, c’est pire encore !Si, depuis, des progrès sensibles ont pu être observés çà et là, certains lycées, notamment, faisant le choix de connexions multiples, la situation générale n’est guère meilleure à cause de la forte augmentation des usages et du « poids » relatif de ces derniers (vidéo, par exemple).

Une chose est certaine : nombreux sont ceux qui s’y risquent et qui renoncent parce que « c’est trop lent » !

Il est urgent de travailler tous ensemble, opérateurs, État et collectivités, à améliorer très sensiblement la connectivité des établissements scolaires.

  • L’équipement à domicile

Les enseignants sont très nombreux à bénéficier à la maison, pour leur part, d’un ordinateur portable ou fixe ainsi que d’une connexion à l’Internet. Dans la très grande majorité des cas, ils payent eux-mêmes ces outils et cette connexion utilisés pour travailler.

L’État et les collectivités doivent prendre en compte, au-delà de l’équipement des établissements scolaires, l’équipement professionnel spécifique des professeurs. C’est une des conditions de leur engagement et de la réussite.

  • L’engagement numérique en classe

Cet engagement numérique des enseignants reste globalement très insuffisant. L’enquête Profetic le montre bien et la situation n’a guère changé eu un an : 1 professeur sur 5 reste rétif à utiliser le numérique en classe et n’est pas même pas convaincu de son intérêt. Par ailleurs, seul 1 professeur sur 20 a une pratique du numérique intégrée à sa pédagogie « au quotidien ».

Il reste beaucoup à faire pour banaliser l’usage et intégré du numérique dans les pratiques disciplinaires. Sans doute faut-il faire évoluer les programmes, changer les modes d’évaluation et agir sur la formation.

  • Les usages des outils numériques

Les professeurs sont très nombreux à utiliser les outils numériques pour préparer leurs cours ou pour des usages administratifs. En revanche, à peine plus d’1 professeur sur 5 propose à ses élèves, au moins une fois par semaine, des activités en classe où les élèves peuvent manipuler des outils numériques.Ils sont très rares à proposer des activités numériques qui favorisent le dialogue, le débat, l’échange et le travail collaboratif, avec ou entre les élèves, avec les parents.

Il y a encore loin entre les pratiques personnelles et les pratiques professionnelles. Le chemin est long pour changer les postures magistrales et permettre les échanges.

  • Les jeunes à domicile

Ils sont très bien équipés de manière générale. L’enquête du Credoc montre qu’ils se disent tous internautes et que 3 sur 4 disposent, à domicile, d’un ordinateur portable connecté pour travailler, lequel peut être éventuellement emporté dans la chambre. Bien entendu, l’équipement des familles est d’autant plus important qu’il y a à la maison des enfants en âge d’être scolarisés.

La fracture numérique se réduit de jour en jour. Les jeunes ont des pratiques numériques massives.

  • Les jeunes et Internet

En revanche, la plupart des enquêtes montrent que ces pratiques numériques sont parfois très gourmandes en temps :  si les jeunes de 12 à 17 ans passent en moyenne 5 h par jour en ligne (ordinateur, tablette, smartphone voire télévision connectée), ils sont 1 sur 10 à y passer plus de 10 h par jour. Quand dorment-ils ?Par ailleurs, les jeunes ont des usages très importants voire frénétiques des réseaux sociaux : 98 % des lycéens ont un compte sur Facebook, même s’ils ne s’en servent pas tous ou pas tous de la même manière. C’est un marqueur social de plus. À noter qu’1 enfant sur 3 de moins de 13 ans a transgressé les conditions générales d’utilisation en prenant un compte sur Facebook, le plus souvent avec l’accord des parents.

Les jeunes ont des pratiques numériques massives sociales et médiatiques. Il faut renforcer l’éducation aux médias.

  • Les jeunes et leurs téléphones

Si les jeunes sont massivement pourvus de téléphones mobiles — ils sont 93 % à en posséder un à 15 ans —, ils s’en servent rarement pour téléphoner, préférant l’utiliser pour envoyer des textos ou pour les réseaux sociaux. Plus d’1 téléphone mobile sur 2 est en effet maintenant un ordiphone connecté. Là encore, ils sont plus d’1 sur 10 enfants de moins de 10 ans, scolarisés au premier degré, à posséder un téléphone mobile qui a, bien évidemment, été acheté par les parents. Les filles sont les premières dotées, le plus souvent pour des raisons de sécurité.

Le téléphone est le terminal mobile que l’enfant a sur soi pour augmenter sa vie sociale et accéder à l’information. Pourquoi le bannir de l’école ?

  • Les jeunes et le numérique à l’école

Les jeunes n’ont que très rarement, sur le lieu de leur scolarité, accès, de manière autonome ou encadrée, à des ressources numériques. À l’Université, c’est seulement le cas d’1 étudiant sur 5, au lycée, c’est le cas de moins d’1 élève sur 20. Par ailleurs, les élèves de 12 à 17 ans sont majoritairement (2 sur 3) d’accord pour dire ne jamais utiliser Internet à l’école !

Il y a encore beaucoup à faire pour ouvrir les murs clos de l’école à l’Internet et aux ressources numériques.

  • La formation des cadres

Les cadres sont peu pas formés du tout aux enjeux du numérique. L’École Supérieure de l’Éducation Nationale, qui forme l’encadrement, accorde une toute petite place au numérique sur le site de l’école. Un exemple de formation des IEN, inspecteurs du 1er degré, montre que seuls 2 jours de formation sont réalisés en ligne sur un total de 50 jours en présentiel. On pourrait multiplier les exemples à loisir qui montrent le faible engagement de l’institution dans la formation de ses cadres au numérique.

Si, d’une manière générale, la formation des personnels est un enjeu fort de la réussite du numérique à l’école, priorité doit être donnée aux cadres pour leur permettre d’engager leurs équipes avec eux et d’impulser des actions dans le sens d’une intégration renforcée du numérique dans les apprentissages.

  • L’équipement des établissements scolaires

Plusieurs enquêtes, à commencer par le dernier rapport du député J.-M. Fourgous, ont montré que, contrairement à ce qui peut se dire çà et là, l’équipement numérique de nos écoles, collèges et lycées reste très insuffisant. Il y a, en Grande-Bretagne, 2 fois plus, et au Danemark, 3 fois plus, d’ordinateurs par collégien qu’en France. De même, si 78 % des classes britanniques bénéficient d’un tableau numérique, seules 6 % des classes françaises en sont pourvues. Même si ces chiffres, qui datent un peu, peuvent être légèrement revus à la hausse, ils montrent un équipement très en retard de nos établissements.

À l’initiative de L’État et sous sa régulation, les collectivités locales doivent faire un effort global très important d’équipement en outils numériques, de même que du personnel doit être affecté à sa maintenance.

  • L’actualité pour terminer

L’actualité, c’est la remise du rapport sur la refondation de l’école au ministre. Un chapitre est consacré au numérique qui peut laisser penser à un engagement résolu : « Parce que notre monde vit une mutation de nature comparable à ce qui s’est passé avec l’imprimerie, parce que toute la société, les sciences, la vie quotidienne et économique sont aujourd’hui conditionnées par ces bouleversements, l’École doit aujourd’hui pleinement entrer dans l’ère du numérique. ». De manière plus pragmatique, ce chapitre, qui concerne un événement aussi important que l’imprimerie, est relégué à la 49e page d’un rapport qui en fait 52, au 2e item d’un 4e alinéa d’une 3e partie.

Les pouvoirs politiques semblent montrer un fort engagement dans le numérique qui ne se traduit que rarement dans les faits.

La Fondation ADN a fait, en amont du colloque en référence, un certain nombre de propositions qu’il est possible de retrouver sur cette page. La principale d’entre elles et la plus importante est la création d’une Agence nationale pour l’éducation numérique. C’est évidemment une bonne idée qui avait aussi été suggérée dans le dernier rapport du Conseil national du numérique. Ce dernier est allé plus loin en proposant aussi des instances régionales de régulation entre État et collectivités locales.

L’état des lieux ci-dessus montre un certain nombre de retards et de dysfonctionnements qui sont dus, pour une grande part, à l’absence d’une impulsion visible de la part de l’État et du ministère et à l’absence de régulation et de coordination des actions entre l’État et les collectivités. Ces dernières doivent être responsabilisées dans leurs champs d’intervention et les missions respectives doivent être rendues plus claires et lisibles.

L’Agence nationale que la Fondation ADN appelle de ses vœux serait donc à même d’intervenir sur ces objectifs et sur les chantiers prioritaires que j’ai évoqués supra.

En revanche, la Fondation ADN évoque la possibilité d’expérimenter des actions innovantes avec des enseignants et des établissements volontaires. Je pense, pour ma part, que le moment n’est plus d’expérimenter quoi que ce soit, ce qui a été fait sans discontinuer depuis 20 ans, mais maintenant de déployer de manière massive.

Le moment n’est plus de s’interroger sur les éventuels bienfaits du numérique sur les apprentissages. Il faut avancer, ensemble et résolument.

Je l’ai déjà dit, la société est numérique, les entreprises, les institutions, les services publics se sont engagés avec passion dans le numérique. De leur côté, les jeunes ont adopté des pratiques numériques massives. L’école ne peut plus attendre, c’est sa responsabilité de préparer l’avenir de ses élèves, d’en faire les citoyens éclairés, responsables et autonomes de la société numérique et de les former à des métiers qui n’existent peut-être même pas encore. Pour ce faire, il lui faut changer radicalement de méthode, elle n’a pas le choix et ne peut s’attarder.

La route est encore longue…

Michel Guillou @michelguillou

Crédit photo : Jonathan Kos-Read via photopin cc

[cite]

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